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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/181

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entre 42 sociétés[1]. Les indigènes se montraient exaspérés de l’irruption de tous ces Européens qui allaient s’emparer des richesses du pays, richesses que le noir avait longtemps ignorées lui-même, mais dont il commençait à se rendre compte au moment où il allait en être dépouillé. On lui refusait le droit de vendre librement ce qu’il récoltait sur ses propres réserves, et ces réserves elles-mêmes restaient indéterminées.

Mgr Augouard se plaignait, pour son propre compte, des exigences de l’administration qui prétendait imposer des redevances excessives pour chaque parcelle de terrain accordée aux missionnaires. Il protestait aussi contre la décision de la Conférence de Bruxelles qui, contrairement aux stipulations de l’Acte de Berlin, avait permis, dès 1890, de prélever des droits sur les marchandises importées ou exportées dans le bassin conventionnel du Congo.

Tombé gravement malade en 1902, le prélat dut, cette fois, obéir au médecin et aller, durant une année entière, refaire sa santé et ses forces dans l’air natal du Poitou. Aussi quel enthousiasme parmi les chrétiens indigènes quand il revint à Brazzaville en juillet 1903 ! Quelques-uns lui exprimaient leur joie en termes d’une naïveté charmante, telle cette fillette déclarant que « sa bouche était trop petite pour dire le bonheur qu’elle éprouvait à revoir son bienfaiteur et son père. » Et, à ce propos, l’évêque de Brazzaville a souvent protesté, avec de nombreux exemples à l’appui, contre le reproche adressé aux noirs par des personnes qui ne les connaissent pas, de n’être pas accessibles à la gratitude ni à aucun sentiment élevé. Combien de blancs mériteraient mieux ce reproche !

Souffrant de la goutte et de cruels rhumatismes, Mgr Augouard n’en avait pas moins repris ses courses apostoliques. En 1904, tandis qu’il parcourait l’Alima, il eut la douleur d’apprendre la mort du vénérable Mgr Carrie qui évangélisait l’Afrique équatoriale depuis trente-deux ans et qui, malgré sa

  1. Aujourd’hui, plusieurs de ces sociétés ont sombré ; d’autres ont conclu des accords avec le Gouvernement. De 42, le nombre des sociétés concessionnaires est tombé à 17 ; on annonce que bientôt il n’y en aura plus que 12. Petit à petit, l’État arrivera à exploiter directement la majeure partie du territoire ; mais ce qui reste toujours indéterminé, ce sont les réserves indigènes, ce sont les droits des noirs sur les produits du sol, car, tout appartenant à l’État ou aux sociétés concessionnaires, les payemens faits aux noirs sont censés rémunérer non les produits récoltés, mais seulement la main-d’œuvre. Cependant, en théorie, le commerce est libre. Comment s’y reconnaître ?