Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lukoléla ont passé sur la rive belge pour échapper aux persécutions dont ils étaient l’objet. Tel agent se vantait naguère « d’entamer les pourparlers avec les indigènes à 1 200 mètres de distance, » c’est-à-dire que, de loin, il tiraillait sur les villages ; alors, les habitans prenant la fuite, il faisait main basse sur l’ivoire, le caoutchouc, les poules, les cabris, comme aussi sur les femmes et les enfans qu’il pouvait saisir. L’ivoire et le caoutchouc étaient versés à la colonie pour payer l’impôt ; les poules et les cabris étaient retenus par l’Administrateur pour lui-même ; enfin les femmes et les enfans étaient parqués dans des camps de concentration jusqu’à ce que le village eût payé l’amende assez élevée qu’on exigeait de lui. Les trois quarts de ces malheureuses succombèrent de misères et de privations. Mgr Augouard vit un jour trois cadavres de femmes qu’on allait jeter à la rivière pour s’en débarrasser plus vite. C’est le même administrateur qui, dans une seule tournée, se vantait d’avoir brûlé 14 000 cartouches. Mis à la disposition de la justice à la suite du rapport de Brazza, il sut se tirer d’affaire et, à l’heure actuelle, il est toujours employé du gouvernement.

Il y a encore bien des régions du Congo où les noirs sont astreints à payer l’impôt en ivoire ou en caoutchouc, et l’administration cède ces produits aux concessionnaires pour un prix minime, ce qui explique les énormes bénéfices réalisés par certaines sociétés. D’ailleurs, l’administration elle-même estime à des prix dérisoires le caoutchouc apporté par les noirs, tandis qu’elle les paie en marchandises évaluées à des prix exorbitans. De là souvent des révoltes !

Les noirs ne comprennent pas ce que représente l’impôt ; ils l’appellent une amende et, ne se sentant point coupables, ils refusent de payer. « Comment ! s’écrient-ils, le commandant Bazar (Brazza) nous a déjà pris nos terres et, comme il était le plus fort avec ses bons fusils, nous avons dû céder. Voilà que, maintenant, les blancs veulent nous condamner à payer tous les ans une amende. Nous refusons. » Aux réclamations du collecteur d’impôts, beaucoup répondent donc par des coups de fusil ou de sagaie. L’agent du fisc riposte en brûlant des villages, en massacrant les habitans avec le concours d’auxiliaires bondjos qui se livrent aux pires excès. L’emploi de pareils auxiliaires devrait être absolument interdit, comme il a fini par l’être au Congo belge après de nombreuses réclamations. Ces cannibales