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Il n’y a pas à s’y méprendre ; sous une physionomie différente, et dans un décor peut-être moins imposant, quand même les ouvriers actionnaires et les ouvriers salariés se traiteraient familièrement de « camarades, » nous retrouvons la situation précédemment définie. Ce groupement d’ouvriers propriétaires d’un atelier n’est pas une Association ouvrière de production : c’est une Société industrielle, qu’on peut appeler « capitaliste, » très intéressante par la qualité des fondateurs, puisqu’elle nous montre une élite, détachée du rang, socialement promue à des fonctions supérieures ; mais elle n’intéresse pas notre sujet.

Et maintenant, qu’est-ce donc au juste que l’Association ouvrière de production ? Envisageons-la sous sa forme idéale, afin de classer commodément, plus tard, dans l’échelle coopérative, les Associations existantes.

Comme les précédons, des ouvriers d’une même corporation décident de se grouper pour le travail libre. Mais ceux-là ne songent pas seulement à améliorer pour eux-mêmes les conditions de la vie et du travail. Ils ont étendu d’avance à toute leur corporation l’idéal entrevu par eux seuls : la propriété collective, le partage équitable des profits et des risques entre tous les travailleurs. Ils ne sont qu’une poignée ; mais ils se considèrent comme les pionniers d’une voie nouvelle qui aboutira un jour à l’émancipation intégrale de la corporation. Ils savent qu’avant de s’engager à leur suite, plusieurs de leurs camarades voudront cette voie à demi frayée, le plus grand nombre définitivement ouverte, et que la foule viendra lentement à eux, par unités craintives. Cependant, ils sont toujours prêts à admettre les nouveaux venus dans leurs rangs, et au même titre qu’eux-mêmes.

En principe, tous les associés sont tenus de travailler : ce qui ne veut pas dire que tous soient assurés de trouver du travail, l’Association, trop faible à ses origines, pouvant être dans l’impossibilité d’occuper tous ses membres. Quand elle a grandi, le phénomène inverse peut se produire : il faut embaucher d’autres ouvriers, parmi ceux qui n’ont point songé à devenir sociétaires. Mais ces nouveaux venus, ces apprentis, ne sont pas de simples salariés ; ils participent, dans une certaine mesure, aux bénéfices. Ce sont des néophytes dont leurs supérieurs éprouvent la vocation : quand leur éducation professionnelle et coopérative est terminée, leur émancipation commence ; ils