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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/194

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deviennent des sociétaires. Pour eux, en vertu de la variabilité du capital, des actions sont toujours disponibles, des retenues périodiques sur leurs salaires ou leurs bénéfices complètent le faible versement initial, qui est le signe tangible de leur affiliation. Il n’y a donc pas, dans l’Association ouvrière de production, deux groupes dissemblables, dont l’un, étroitement fermé, salarie l’autre en s’attribuant la totalité des bénéfices ; groupes indéfiniment distincts avec leurs rôles propres de commandement et d’obéissance, d’employeurs et d’employés. Il y a sans doute deux catégories de travailleurs ; mais elles sont destinées à se confondre dans l’harmonie fraternelle du sociétariat.

L’égalité des droits parmi les membres, la possession collective de la propriété sociale, sont les traits dominans qui fixent la physionomie impersonnelle de l’Association ouvrière. Le principe d’autorité ne s’incarne ni dans un homme, ni dans une administration extérieure : il réside dans l’universalité des membres. Le directeur n’y est qu’un délégué temporaire, toujours révocable ; sans quoi, les destinées de l’Association risqueraient d’être orientées au gré de caprices ou d’intérêts individuels. En aliénant sa souveraineté, l’Association reconnaîtrait son impuissance.

Mais, pas plus que la Société industrielle, ou la maison patronale, l’Association ouvrière ne peut se passer de discipline. La discipline ouvrière est même d’un ordre infiniment plus élevé ; car elle est la sauvegarde, non plus d’intérêts individuels transitoires, mais des intérêts permanens de la corporation tout entière. Elle est aussi plus noble que la discipline imposée ; ceux dont la dignité est la plus ombrageuse peuvent s’y assujettir sans trouble, puisque leur subordination découle de leur adhésion morale.

Telle est l’Association ouvrière de production idéale. La réalisation de cet idéal exige une telle sagesse, une telle maîtrise de soi, et en même temps une telle hardiesse aventureuse, qu’elle paraît invraisemblable, chimérique, ou tout au moins très lointaine. En tout cas, il apparaît déjà que le succès relatif en est intimement lié à la valeur éducative de la corporation.


Cependant, à ne considérer que les chiffres bruts de la statistique officielle, les Associations ouvrières semblent déjà avoir conquis une certaine place dans l’industrie française.