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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/202

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des plus grandes « maisons » parisiennes, qui fait deux millions d’affaires. Statutairement, il reçoit le cinquième des bénéfices, et ses émolumens varient de 40 000 à 80 000 francs ; ceux du « gâcheur de charpente » sont de 10 000 à 20 000 francs C’est une belle rémunération du « talent. »

À ne voir que les statuts, l’Association est rigoureusement coopérative ; mais quand on a causé quelques minutes avec M. Favaron, on a l’impression qu’elle est patronalement administrée ; qu’elle est la chose d’un directeur presque inamovible, et qu’il en fera ce qu’il voudra. Quoique la réserve y soit d’un million, il n’existe pas, chez les Charpentiers de Paris, de « fonds collectif et inaliénable ; » et comme la durée de la Société n’est que de quinze ans, elle risque de n’être que l’instrument éphémère de l’émancipation corporative.

L’Union des Serruriers, plus modeste que les Sociétés précédentes, est tout aussi remarquable ; et, elle aussi, a gardé le même chef pendant de longues années. Son magasin de la rue Stendhal, où des ouvrages d’art sont en montre, sa belle grille d’entrée, indiquent au passant qu’on ne se borne pas à y fabriquer des serrures. Le directeur, M. Pasquier, un esprit ouvert et alerte, m’a conté avec bonne humeur son histoire. Il y a vingt-cinq ans, un petit patron serrurier ne « s’entendait pas » avec son associé. Un jour, il dit à son « camarade » Pasquier ; ouvrier dans sa maison :

— Mon vieux, si on faisait une coopérative ?

Et à eux deux, ils « firent une coopérative, » prenant pour modèles les statuts des « vieux de 48, » les ouvriers en limes de la rue des Gravilliers. Bientôt, la direction échut à M. Pasquier, qui l’a constamment conservée. L’Union des Serruriers est dans sa main, qu’on sent ferme et « doigtée. » Elle fait annuellement 450 000 francs d’affaires ; mais travaille peut-être autant pour l’État que pour les particuliers ; elle a « l’adjudidication des serrures » au Palais-Bourbon ; et au cours de mon entretien avec M. Pasquier, j’avisai, posés contre un mur, de grands arcs métalliques dédorés, qui provenaient du dôme des Invalides !

L’Union a trente auxiliaires pour trente membres. La proportion est un peu forte ; mais ces « auxiliaires » sont les « ferrailleurs, » véritables coltineurs aussi indispensables qu’ils sont difficiles à gouverner. Sans motifs apparens, ils disparais-