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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/203

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sent brusquement, « font la bombe, » reviennent au bout de quelques jours, et s’en vont, si on leur demande dos explications. On voit que pour préserver du désordre une association de ce genre, le directeur ne doit pas être le premier venu.

Ainsi, dans les Associations du bâtiment, le succès paraît lié à la stabilité de la direction, et les sociétaires seuls y discernent la nuance qui distingue le directeur du patron. Faut-il conclure de ces faits que MM. Favaron, Buisson, Pasquier, d’autres encore, ont systématiquement déformé l’idée coopérative dans leurs Associations, pour s’y tailler un rôle approprié à leurs vues égoïstes ? Ce serait fort mal connaître le milieu où ils ont fait leur apparition naturelle.

Dans les corporations du bâtiment, la mentalité des masses n’est point adaptée à la coopération. La vie de plein air, les voyages de ville en ville, éloignent trop les ouvriers du logis familial, façonnent en eux une sorte d’indépendance insouciante et « blagueuse ; » les lourdes fatigues du métier favorisent l’alcoolisme. Mais, s’ils ne sont pas faits pour la coopération ouvrière, ils entrent volontiers, comme ils entreraient ailleurs, dans les Associations déjà fortement organisées par des individualités puissantes, et que leur présence obligera de s’organiser plus fortement encore. Il est, après tout, naturel qu’avec ces hommes qui appellent leurs directeurs « patrons, » les directeurs prennent peu à peu des allures patronales. Le talent de ceux-ci consiste à s’entourer d’un noyau d’ouvriers « sérieux, » qui resteront sédentaires, ou deviendront chefs de chantier ; de se les attacher comme sociétaires, en conservant ainsi de la forme coopérative ce qui peut en être conservé ; et de gouverner les autres, en les excluant de toute participation au gouvernement.

Les « Associations de travail » valent ce que vaut l’homme qui est à leur tête, s’élevant ou se perdant avec lui : ce n’est pas parmi elles qu’il faut chercher nos exemples. C’est la situation des Associations de production proprement dites, gouvernées par elles-mêmes, vivant d’une clientèle exclusivement privée, qui nous révélera, sans équivoque, l’état de puissance réelle des producteurs associés. Et il ne s’agit pas seulement de savoir si ces Associations vivent honorablement : la pensée des coopérateurs n’embrasse pas simplement ces conquêtes modestes. Leur prétention est de conquérir peu à peu la grande industrie ; ils assurent même que la classe ouvrière a déjà établi