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des « puits abandonnés ; » tous ont échoué misérablement. La Verrerie aux verriers, de Rive-de-Gier, improvisée il y a quinze ans, au cours d’une longue grève, ouverte comme un asile de nuit au passant qui y venait souffler quelques bouteilles, n’a été que le théâtre où s’est agité pendant deux ans, supportant courageusement la misère, mais impuissant à sortir du chaos, le prolétariat inorganisé. D’autres verreries ont pourtant subsisté ; celle de Venissieux, remarquable en son genre, a gardé depuis vingt ans le même directeur. Ne parlons que de la plus grande et de la plus fameuse, la Verrerie ouvrière d’Albi. Son histoire est longue, touffue, dramatique ; je ne puis qu’en marquer les traits essentiels.


Le but est l’ « affranchissement » de tous les travailleurs verriers ; l’occasion a été une grève de physionomie révolutionnaire ; les circonstances ont nécessité l’exode de toute une population. Enfin, par une organisation dont il n’est pas d’autre exemple en France, la propriété et l’administration de l’usine, soustraites aux verriers, appartiennent aux syndicats et aux Sociétés de consommation socialistes, à peu près seules actionnaires. Le premier noyau du capital a été un don de 100 000 fr., qu’une vieille femme un peu bizarre, Mme Dembourg, envoya à M. Henri Rochefort dans une vieille valise. L’usine n’est pas la « Verrerie aux verriers ; » c’est la verrerie « fédérale. » Pour les socialistes, par qui l’œuvre est née, et qui songeaient peut-être aux Lunettiers de Paris, la « Verrerie aux verriers » était un rêve sentimental auquel aurait succédé une réalité dangereuse : l’accession des travailleurs au patronat oligarchique, la transformation de leur mentalité en mentalité bourgeoise, l’oubli de leurs origines et de leurs « devoirs de classe, » la révolution sociale retardée, et l’idéal de la coopération rétréci. Ils ont donc imposé aux verriers une transformation qui réduit ceux-ci au rôle d’employés du prolétariat. Il faut convenir que cette transformation a eu des effets heureux, auxquels ses promoteurs n’avaient peut-être pas songé. Les ouvriers de la verrerie d’Albi ont été protégés contre leur propre faiblesse ; les folies anarchiques de la seconde « Mine aux mineurs » n’ont pu être renouvelées, et la stabilité de la direction a été assurée.

Cependant, les premières années furent terribles pour les verriers. Luttant désespérément pour la subsistance de leurs