ordinairement dans les salons d’attente des tailleurs et des dentistes. Ce sont des numéros de l’Assiette au Beurre, de la Guerre Sociale, de la Voix du Peuple, organe officiel de la Confédération générale du Travail. Je lève les yeux : mes yeux se reposent sur une reproduction lithographique des Étapes de Jacques Bonhomme, et le portrait d’Émile Zola. Cependant, le directeur paraît, la bande métrique passée autour du cou : un jeune homme très doux, qui parle net, et satisfait poliment ma curiosité. Fondée depuis quelques années, l’Association occupe six ouvriers, dont quatre « appiéceurs, » un « pompier » et une « dame spécialiste. » Lui, le directeur, est payé « comme les autres, » et reçoit seulement, en plus, 200 francs par an, pour « frais de représentation. » Il ne récrimine pas ; « ce sont ses idées. » Ici, me dit-il, « il n’y a pas d’autorité ; je n’ai qu’un rôle représentatif ; chacun, dans sa sphère, agit comme il veut et comme il doit. » Je ne puis me le dissimuler : cette association, de clientèle bourgeoise, établie dans un appartement presque luxueux, à deux pas de la Bourse, est un foyer discret de compagnons libertaires. Au risque de contrister son directeur, j’ajouterai d’ailleurs qu’elle m’a paru bien dirigée.
Je suis loin d’avoir énuméré toutes les Associations, qui paraissent définitivement « lancées. » Il en est aussi en province, comme l’Imprimerie ouvrière de Nîmes, originalement installée dans l’ancienne chapelle des « Saintes Maries ; » et la Société des Menuisiers, de Limoges, qui après avoir débuté dans une écurie, il y a quinze ans, fait maintenant 500 000 francs d’affaires. En tout, on en pourrait citer une cinquantaine.
Mais sur le plus grand nombre des autres, on ne peut rien dire. D’ailleurs, rien que pour les découvrir, il faut souvent une patience inaltérable, et une forte obstination. À Paris, quelques-unes se dissimulent, sans enseigne apparente, dans des arrière-cours, à des étages supérieurs ; pour y accéder, il faut opter, à l’aveuglette, entre des escaliers multiples, enfiler des corridors, respirer des odeurs diverses, et recourir, devant les portes obscures, à la ressource désespérée des allumettes-bougies. Il en est même, suprême déception ! que leurs concierges ignorent. Je me souviendrai longtemps d’une certaine porte de grenier, rue de Charonne, sur laquelle une inscription à la craie décelait seule l’existence de la « Toilette Anglaise ; » et, rue des Petits-Champs, d’un atelier de « fleuristes-plumassières, »