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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/216

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Société mystérieuse, presque secrète, où les clientes devaient donner un mot de passe, comme dans le Petit Chaperon rouge.

Sans doute, quelques-unes de ces Sociétés minuscules, malades ou agonisantes, pourront survivre ; mais il y a de fortes présomptions pour que le plus grand nombre disparaisse. Rien qu’à Paris, plus de 400 ont sombré depuis soixante ans ; et depuis que des statistiques sont dressées, on sait que, dans l’ensemble, quarante ou cinquante meurent chaque année. Le tableau officiel des Associations ouvrières n’est qu’un cadre décevant, où, à côté de quelques images déjà fixées, défile confusément la figuration fuyante d’activités éphémères. À défaut même de la statistique, tout ce que nous savons de la genèse et de la vie intérieure des Associations suffirait à nous édifier.


Toute création coopérative devrait être précédée d’une période préparatoire, pour amasser le capital, plus encore pour lier, d’une façon solide, des travailleurs d’élite, connus les uns des autres. Au lieu de cela, c’est ordinairement au milieu d’une grève, au moment d’une crise industrielle, que l’idée d’association prend de la consistance. Il est certain que, sous l’éperon de la misère, excités d’un violent désir de libération, les ouvriers sont capables d’un élan inaccoutumé. Mais l’angoisse même où ils vivent, la nécessité d’aboutir vite, créent une atmosphère défavorable au calcul et à la méditation. Ce n’est pas quand on attend son pain de la générosité publique, et de la solidarité syndicale, qu’on peut former le petit capital dont on a besoin. Ce n’est pas non plus quand on combat côte à côte, qu’on est libre de se grouper entre bons ouvriers, et d’écarter les autres. Enfin, en temps de crise industrielle, il est insensé de croire qu’avec un outillage de fortune, il suffira de produire plus mal pour pouvoir « écouler » mieux, alors qu’on est justement en mal de surproduction. Mais ces considérations n’ont jamais arrêté les initiateurs ; et l’Association, telle qu’elle devrait être conçue, lorsque l’existence normale réserve un champ libre et tranquille à la prévoyance et au conseil, cette Association est un être social exceptionnel. Les grévistes, les chômeurs, se précipitent vers l’Association libre comme à une bataille ; ils campent dans une sorte d’ivresse mystique, clamant les cantiques révolutionnaires, soldats et apôtres à la fois. Ils jettent bravement leurs pauvres économies dans le fonds