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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/217

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social ; ils s’imposent des retenues fabuleuses sur leurs salaires ; ils acceptent des besognes étrangères à leur métier ; ils vivent d’une existence que, dans leurs plus mauvais jours, ils n’ont pas connue à l’usine patronale. Et si, d’aventure, ils sortent victorieux de cette terrible épreuve, ils ont bientôt à compter avec les « militans. »

C’est parmi les « militans » qui ont provoqué et dirigé la grève, que s’est formé le noyau de l’Association. Mais tout n’est pas toujours pur dans la physionomie du « militant. » Le militant est parfois un ouvrier de capacité médiocre, ou de minime moralité, aigri d’être maintenu dans une situation inférieure, qui s’est jeté dans l’Association, moins par haine de l’autorité patronale que par haine de l’autorité proprement dite. Il est promptement exaspéré de la discipline ouvrière, si on lui a refusé le rôle de chef. Il est celui qui veut « tout casser ; » et si l’Association n’a pas l’énergie de l’expulser, lui et ses pareils, elle est perdue.

Deux éliminations successives ont déjà singulièrement réduit le contingent des Associations : le désordre financier en opère une troisième sur les survivantes. Souvent, pour les fondateurs improvisés, la comptabilité n’est qu’un grimoire inutile. On n’achète pas de « livres ; » les recettes et les dépenses sont inscrites sur des feuilles éparses, chargées de ratures, étoilées de « renvois, » qui traînent dans des tiroirs, mêlées à des brosses ou à des morceaux de chandelles, sur des rayons, sur des établis, dans les poches des administrateurs ; ou même ne sont pas inscrites du tout. On a constaté, il y a quelques années, qu’aucune des coopératives du Centre n’avait jamais eu de comptabilité, sauf une Société de peintres, dont un « camarade, » à ses momens perdus, « faisait les écritures : » c’était le meilleur peintre des comptables et le meilleur comptable des peintres.

Le désordre est surtout curieux dans les petites Associations du bâtiment. Persuadées qu’il suffit de travailler pour vivre, elles recherchent, par adjudication, tous les travaux possibles, consentent des rabais fous pour les « enlever, » exultent naïvement quand elles les ont obtenus.

— C’est du « boulot » pour l’hiver ! s’écriait un jour joyeusement un de leurs directeurs.

Hélas ! avec de pareils rabais, le « boulot » risque d’être