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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/225

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l’apparence d’être à peu près de la musique, ou ce que par ce mot on entendait communément autrefois. C’était d’abord quelque chose d’établi, de fondé sur des élémens premiers, solides et reconnaissables. On les nommait « idées » et, dans le sens musical même, on savait, à peu près, ce que voulait dire ce nom. Mais la musique était encore autre chose. Comme une base, elle avait une suite : elle comportait l’ordre et la logique, In discipline, la hiérarchie et le développement. Elle se permettait aussi la facilité, l’abondance, la prodigalité même. Enfin, à l’occasion, elle ne se refusait ni la gaîté, ni l’esprit.

La musique de M. Ravel n’est assurément pas aujourd’hui celle qui ressemble le plus à la musique de ces temps lointains. D’abord, en un sujet comique, elle nous parut triste mortellement, sans un éclat, sans un éclair, sans un trait et sans un accent. Le plaisir que d’aucuns y trouvent doit être une forme de la délectation dite morose. Plaisir sombre, et maigre plaisir, l’ampleur étant ce qui manque le plus à cet art. Il n’en est pas d’aussi menu, d’aussi modique. Lorsqu’il parlait, récemment, de « musique au compte-gouttes, » notre sage et spirituel confrère M. Adolphe Boschot pensait peut-être à cette musique-là Chaque goutte en est amère, si ce n’est acide. Elle irrite et ne rafraîchit point. Cette œuvre, une comédie lyrique ! En vérité, du lyrisme ou du comique, je ne sais trop ce qui fait ici le plus défaut. Mais ce qui ne s’y trouve pas, et cela, pour le coup, je le sais bien, c’est l’entrain, la verve et l’allégresse, la franchise, le naturel et la liberté. Ici tout se contraint, se restreint, sans que rien se détende et se déploie. Quelle parcimonie, ou plutôt quelle misère ! Pas un contour, pas une ligne ; des points, et comme des hachures, ou des piqûres sonores. Aucune tenue et nulle suite. Partout, à la place d’une idée, une impression, fausse souvent, et toujours fugitive. Parmi tant de relations, de convenances, dont l’ensemble compose l’art musical ainsi que les autres arts, le rapport entre les notes et les mots, entre le son et le verbe, est peut-être le moins juste et, de parti pris, le plus altéré. Ni les voix ne s’accordent avec l’orchestre, ni les intonations avec les paroles. Et déjà cela crée, dans un double domaine, une double contradiction. Mais elle s’étend plus loin encore : elle affecte, elle gâte également deux autres ordres de la musique, celui de la mélodie et celui de l’harmonie, car il semble bien que M. Ravel prenne le même plaisir à porter le même trouble dans la succession des sons et dans leur groupement ou leur alliance. De mélodie, il n’y en a là proprement aucune. Des harmonies, il n’en est guère que de celles dont on souhaiterait qu’elles ne fussent point. Enfin les sonorités et les