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timbres témoignent de moins d’invention que de recherche et d’artifice. Au début, un petit charivari d’horloges, pendules, coucous, ne manque pas d’une certaine drôlerie. Mais cet orchestre a généralement le défaut, puéril, de vouloir figurer le détail, et le moindre, de la matière, ou du matériel, plutôt que de l’esprit. Pas une porte ne se ferme, pas une horloge n’est placée, déplacée, replacée, qu’une note, un rythme, un accord, n’en prétende imiter le mouvement et le bruit. Quant à la comédie elle-même, tout en échappe, le dedans surtout, à cette musique recherchée et vaine. Elle ignore également l’ampleur de l’opéra bouffe, la finesse de l’opéra-comique et la caricature chère à l’opérette. L’Heure espagnole rappelle aussi peu le Mariage secret, le Barbier de Séville ou Falstaff, que la Servante maîtresse ou le Tableau parlant, ou cette Vie Parisienne, qui vient de nous donner, de nous redonner un très musical plaisir. D’Offenbach ou de l’autre, le meilleur musicien, j’entends le plus abondant, le plus ingénieux et le plus simple à la fois, le plus divertissant, avec le plus de malice, n’est peut-être pas celui que les Ravellistes pensent. Le bottier et la gantière, en musique ou par la musique, ont une autre finesse, une autre ampleur que l’horlogère et le muletier. Si M. Ravel s’est flatté, çà et là, de nous divertir avec la mise en musique des moins musicales ou « musicables » paroles, il faut avouer que le chœur fameux : « Nous sommes employés de la ligne de l’Ouest ! » ou l’ensemble, non moins populaire : « Son habit a craqué dans le dos ! » demeurent, après l’Heure espagnole, les chefs-d’œuvre authentiques et non encore égalés de ce genre paradoxal et que le paradoxe même rend bouffon. Et puis, et surtout, — il y faut revenir, — un art tel que celui de M. Ravel, de qualité douteuse, est pour ainsi dire une quantité négligeable, tant il est sec, étroit, chétif, tellement la source et la veine en est avare. Difficiles nugœ. Combien en connaissons-nous, de ces bagatelles difficiles, de ces pénibles riens, que les « jeunes maîtres » de l’heure, espagnole ou non, s’appliquent, sérieux, prétentieux, à nous accommoder et à nous servir ! La musique entre leurs mains se réduit et se volatilise. Ils la dépouillent, sous prétexte de la dégager ; croyant l’assoupli ils la désarticulent et la rompent. Ouvriers soi-disant de progrès, ils ne le sont que de décadence. Ils ne vont point vers la vie, mais vers le néant, et si l’on parlait non plus de leur musique, mais à leur musique même, on serait tenté de lui dire, ou de lui redire :


Mais je pense, entre nous, que vous n’existez pas.