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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/229

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très pures les lignes : parallèles pour commencer, en quartes conjointes, puis s’éloignant par mouvement contraire, et pareilles alors aux « grands cercles noirs » qui courent à la surface de l’eau. Le chant lui-même enchante : il est discret, mais expressif, et, se mouvant dans un espace, dans un ambitus étroit, ce qu’il sacrifie en étendue, il le regagne en profondeur. Les trois premières notes, qui reviennent de place en place : O Thérèse, regarde ces trois notes seules ont leur prix. Le compositeur n’a pas souvent trouvé quelque chose de plus tendre et de plus sincère dans l’ordre, non pas même de la mélodie, mais de l’intonation.

D’excellentes pages viennent alors et se suivent, sans hâte. Ici vraiment, chose rare aujourd’hui, le musicien a pris le temps de faire de la musique, et nous laisse, à nous, le loisir d’en entendre. Encore une fois, rien ne l’a pressé et rien ne nous presse. Rien ne manque et rien n’est de trop. Il est donc vrai que la musique, et la nôtre, peut être ou redevenir un plaisir, une émotion ! Après l’heure espagnole, ou soi-disant telle, oh ! la bonne demi-heure, et si française ! C’est à la française qu’est ordonné, composé tout cet épisode : avec mesure, avec goût, avec une harmonie heureuse qui fait de ces quelques pages une chose homogène et diverse, régulière et libre en même temps.

Le style de M. Massenet est excellent ici parce qu’il n’y est pas seulement habitude de l’esprit, mais de l’âme. Habitude, et non routine : aucune forme n’y dégénérant en formule vide de pensée et de sentiment. Celui-ci, hormis peut-être, çà et là, tel « départ » ou telle cadence un peu précipitée, se contient plutôt qu’il ne se déploie, et cette réserve donne à la musique un charme grave, intérieur, qui se concentre au lieu de se dissiper. J’aime le sérieux de certaines phrases, la profondeur de certains accens de Thérèse s’abandonnant sans lâcheté, mais non sans mélancolie, aux souvenirs, aux regrets dupasse. Et tenez ! au lieu du nom de Thérèse, j’allais en écrire un autre, celui de Charlotte. C’est dire assez l’œuvre de M. Massenet, — son chef-d’œuvre avec Manon, plus que Manon peut-être, — dont l’influence est reconnaissable ici. Il y a du Massenet de Werther en ce premier acte : un Massenet tendre, élégiaque, passionné certes, mais sans afféterie, sans faiblesse morbide comme sans spasmodique violence. L’ « entrée » d’Armand de Clerval est une page de musique non seulement expressive, mais franche, solide, à base de quatuor : musique où rien ne trompe, où rien ne triche, où rien ne ment. Tout y est à sa place, tout y vient à son tour. Les premières paroles