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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/230

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d’Armand succèdent, juste quand il faut, à la symphonie dont s’accompagnait son retour. Elles se posent une par une, lentes, craintives, sur les degrés descendans d’une ingénieuse série d’accords. Entre elles s’étendent et se creusent des espaces muets. Voilà de la bonne déclamation lyrique. Elle est verbale d’abord : entendez que, servante de la parole, elle en dégage, en accroît le sens ; mais de plus elle est musicale, employant toutes les ressources de la musique : la voix, cela va sans dire ; les sonorités ou les timbres ; l’harmonie, témoin ces accords qui se dégradent ou se fondent les uns dans les autres ; enfin cet élément précieux et trop négligé des musiciens : le silence.

Et comme il est bien composé, bien conduit et bien construit, le monologue d’Armand ! On en pourrait dessiner, ainsi que d’une architecture sonore, le plan, la coupe et l’élévation. Naturellement, ce n’est pas un air ; mais c’est encore moins un assemblage, sans ordre et sans lien, non pas même de lignes, mais de points. Mouvement, mélodie, modulations, et jusqu’à la montée de la voix, tout concourt et converge vers un sommet où, sans effort, sous la seule impulsion du sentiment, la musique tout entière finit par atteindre et s’épanouir.

« Practical and poetical basis, » disent volontiers nos confrères anglais, pour distinguer les deux élémens, l’un technique, et l’autre idéal, de notre art. Tous les deux se mêlent en ces quelques pages dignes de louange. La forme s’y reconnaît, et le style, tantôt de Werther et tantôt de Manon. Vous souvient-il, dans Manon, de l’acte du Cours-la-Reine ? Il renferme un délicieux épisode, un dialogue de peu d’instans entre le comte des Grieux et Manon. Tout autrement traitée, atténuée et comme éteinte, la scène pourtant fait penser à celle du père Duval et de Marguerite dans la Traviata. Aux sons d’une musique lointaine, et légère, et dansante, se répondent à mi-voix, à demi-mot, à mots couverts, des propos tristes et doux. Il n’y a pas beaucoup d’exemples, dans la comédie lyrique moderne, d’un rapport aussi délicat, d’un partage aussi juste et aussi harmonieux entre l’orchestre et le chant. Le premier acte de Thérèse en offre un second modèle : c’est un menuet, qu’un invisible clavecin mêle aux souvenirs, aux regrets échangés par les deux vertueux amans. Non pas que l’originalité, la valeur du morceau même soit insigne ; mais il est à sa place, il vient à propos, et le timbre seul de l’instrument suffit à répandre un charme d’évocation qui nous enveloppe et nous attendrit. Autour du menuet, au-dessus, les deux voix évoluent avec