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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/233

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garde nationale, acheva cette rétrospective et bourgeoise évocation.

Le second acte a de la puissance. Il ne se passe pas, comme le premier, dans le grand monde, mais dans le plus misérable et le plus bas. Il est d’un réalisme, ou d’un « vérisme, » que ne craignent point aujourd’hui les compositeurs italiens, mais que la pitié, la fameuse pitié russe, sauve de la bassesse et attendrit. Le tableau représente, nous l’avons dit, l’arrivée, la halte et le départ des forçats. Ils chantent un chant russe, un chant populaire. On le sait, l’intervention de l’élément simple, instinctif et naturel dans une œuvre d’art, dans une œuvre nécessairement composée et jusqu’à un certain point fictive, ne manque jamais de surprendre et d’émouvoir. L’effet se produit ici, comme toujours. Ce n’est rien, cette complainte des pèlerins de honte et de douleur ; c’est moins que rien, musicalement, auprès de certaines polyphonies illustres, chœurs de Fidelio ou de Tannhäuser, chœurs aussi de pèlerins ou de prisonniers. Et pourtant cela ne nous touche guère moins. Rappelons-nous et comprenons ici un trait du comte Alexis Tolstoï, qu’Eugène-Melchior de Vogüé rapporta. Pour la femme qu’il aimait, Tolstoï ne trouvait rien d’assez beau, dans les trésors de la musique et de la poésie. Alors il se souvint, était-ce d’un pâtre ou d’un chamelier d’Orient, qu’il avait entendu naguère. Il le lit rechercher, puis il l’envoya vers sa maîtresse, ne sachant rien d’égal, parmi les plus fameux chefs-d’œuvre, à l’humble chant que le génie de la race, à travers les âges, avait formé.

À côté de cette inspiration populaire, et russe, l’art du musicien d’Italie n’est point à mépriser dans le second acte de Siberia. Tel épisode, maint détail même, comme l’arrivée de la poste, est pittoresque et vivant. Surtout le prélude symphonique ne manque ni de grandeur, ni de caractère. Le vent y est imité par l’inévitable chromatisme, la musique n’ayant pas encore trouvé d’autre moyen d’exprimer les mouvemens de l’atmosphère. Mais le thème principal est expressif avec vigueur et sobriété. Enfin quelques passages, pittoresques aussi, du troisième et dernier acte, seraient à retenir : un carillon de cloches, un intermède de musique de scène pour instrumens à cordes, la plainte lointaine des mineurs au travail. Les alentours ou les accessoires, en un mot les dehors, paraissent favorables au talent, plutôt extérieur, de M. Giordano.

Malgré la nationalité de Mlle Cavalieri et le nom de M. Muratore, c’est l’italianisme, j’entends la verve, le brio, l’exubérance, qui manqua surtout à l’interprétation générale de Siberia. M. Muratore est