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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/251

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L’AVANT-VEILLE ET LA VEILLE DU COURONNEMENT


20 juin. — 21 juin.

Je suis arrivé à Londres le 19 au soir par un train bondé qu’il avait fallu dédoubler. Dans la nuit noire, je n’ai pu voir de mes yeux si, comme on me l’a assuré, il n’y avait pas, dans ces longues et monotones rues des faubourgs de Londres, modeste maison qui n’eût à sa fenêtre un drapeau. Il pleuvait à torrens. Pourvu qu’il ne fasse pas ce même temps le 22. Mais les Anglais ont décidé qu’il ferait beau ce jour-là, et ils sont persuadés qu’il en sera ainsi. Contrarier le peuple anglais ! La Providence ne voudrait pas.

Parcourir Londres, lire les journaux, telle va être mon occupation de ces deux jours. Je crois être un des rares Français qui aiment Londres. Non pas que Londres me semble à proprement parler une belle ville ; mais c’est un des endroits du monde où la vie est le plus intense. Or on peut dire tout le mal qu’on voudra de la vie : elle est ce qu’elle est. Mais elle est curieuse à observer et les endroits où elle se manifeste avec le plus d’énergie sont toujours ceux que j’aime le mieux. Paris, New-York, Londres sont à mes yeux les lieux les plus intéressans du monde. Je vais dire un paradoxe. Quand on est jeune, je comprends qu’on aime la solitude. On vit d’une vie intérieure si forte qu’on se tient compagnie à soi-même. Quand on est avancé en âge, le mouvement des autres supplée à la vitalité qui vous manque.

Je me promène donc dans les rues de Londres, en badaud. J’ai demandé à la très distinguée personne dont je reçois en ce moment la très précieuse hospitalité et qui sait le français, beaucoup mieux que je ne sais l’anglais, comment se disait badaud en anglais ; elle n’a jamais pu me fournir le terme exact. J’en ai conclu, sans en être autrement humilié, que la badauderie était chose essentiellement française. Je vais donc, déambulant par les rues, le nez en l’air. Je regarde tout et partout. Je ne puis dire que l’aspect de Londres ait précisément gagné. Je ne sais quel journal a dit que Londres était en ce moment une forêt de charpente. La métaphore n’a presque rien d’exagéré. Sur tout le parcours que le cortège royal doit suivre pour se rendre de Buckingham Palace, le 22 à Westminster et