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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/339

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sont des qualités très classiques de vision concise, si je puis ainsi parler, et de pittoresque ramassé, que Gautier a mises dans toutes les descriptions qu’il a faites de l’Orient brûlé ou de « l’Orient gelé. »

Tout compte fait, Gautier a beaucoup plus été isolé dans le romantisme qu’il n’y a baigné.

Notez bien qu’il l’a senti, qu’il s’en est parfaitement rendu compte. Sans la moindre polémique, et la polémique était certes bien ce qu’il y avait de plus contraire à sa nature, d’une part, il a été extrêmement sensible aux ridicules du romantisme, ce qui déjà est un signe ; d’autre part, il a parfaitement rompu en visière avec ce qui est peut-être l’idée essentielle du romantisme, tout au moins à ce qui a été la plus chère et la plus complaisamment caressée de toutes ses idées. Il a écrit les Jeune France et il a institué la théorie de « l’art pour l’art. »

Les Jeune France sont quelque chose comme le Bouvart et Pécuchet du romantisme. Observer ce qui devient une mode littéraire ou une mode scientifique dans le cerveau et même dans le tempérament des imbéciles et décrire cette déformation par le menu et ne pas laisser d’en rendre responsables cette mode littéraire elle-même ou cette mode scientifique elle-même : c’est le procédé des Jeune France et de Bouvart et Pécuchet. Que Gautier ait écrit les Jeune France et Musset les Lettres de Dupuis et Cotonnet, cela les marque tous les deux comme romantiques très indépendans.

Et Gautier a proclamé dès 1833, dans la préface de Mademoiselle de Maupin et très souvent depuis lors, la célèbre théorie de l’art pour l’art, ce qui voulait dire l’art pour le beau et seulement pour le beau. Cela n’était rien de moins, comme il arrive assez souvent, qu’une déclaration de guerre au romantisme au nom de son principe même. Le romantisme, en tant qu’indépendance de l’artiste littéraire s’abandonnant à toute sa sensibilité et à toute son imagination, était précisément l’art pour le beau, ou tout au moins l’art pour la réalisation, pour l’expression de tout le beau qu’on porte en soi ; mais en ramenant et en restreignant et en réduisant l’artiste à ne chercher que cette réalisation du beau qu’il conçoit, en lui interdisant de travailler en but du vrai, du bien et de l’utile, Gautier coupait net cette communication entre l’artiste et le grand public qui, lui, cherchera toujours dans les livres qu’il lit une vérité, une édification