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« Point du tout, répondait Gautier (je le force un peu ; mais sans le trahir), le monde ne parle pas cette langue-ci ; mais il ne la comprend pas non plus ; et quand il la comprend, c’est, qu’en s’altérant, elle a commis ce crime envers elle de se faire comprendre de lui. » En un mot, par sa théorie de l’art pour l’art, c’est-à-dire de l’art pour le beau et c’est-à-dire de l’art pour le beau dont l’art dont il s’agit est susceptible, Gautier ramenait l’art littéraire à être un art comme la peinture, la sculpture et la musique. Tout le monde conviendra sans doute que le beau musical n’est accessible qu’aux musiciens et le beau sculptural qu’aux sculpteurs et le beau pictural qu’aux peintres et que la foule, à tous ces arts-là, ne fait que se persuader qu’elle comprend quelque chose ou que feindre de comprendre quelque chose. Pour Gautier l’art littéraire est tout de même, et là où la foule le comprend, c’est qu’elle a été séduite par une vérité qui lui plaît ou par une leçon morale qui lui agrée ; mais c’est précisément ici qu’est la limite où l’art littéraire cesse d’être un art ; et, en la franchissant, inconsciemment ou consciemment, il s’est déserté.

En un mot et c’est très simple : l’art pour l’art, c’est l’art pour les artistes et pour les seuls artistes.

Ici Gautier était tout à fait en dehors du romantisme. Il était en dehors de tout le mouvement littéraire du siècle tel que, dès avant 1815, Mme de Staël l’avait prévu et tel qu’il s’était très précisément réalisé. Le fond des idées de Mme Staël était celui-ci : il y a eu une littérature de société ; après la Révolution, il y aura une littérature de peuple ; il y a eu une littérature qui s’adressait à dix salons capables de la comprendre et à très peu près de la faire ; il y aura une littérature forcée, puisque les salons ne seront plus, de s’adresser à tous, forcée, puisque la société ne sera plus, de s’adresser à un peuple et à des peuples. Gautier remontait le courant et le fond de ses idées était : il y a eu un art littéraire qui s’adressait à dix salons capables de le comprendre et à très peu près de le pratiquer. Il n’y a pas de littérature s’adressant au peuple, parce que le peuple n’est pas susceptible de littérature ; ou il y aura une littérature s’adressant au peuple, mais ce ne sera pas de l’art littéraire. Qu’y aura-t-il donc ? La même chose qu’autrefois avec une très légère différence : il y aura une littérature s’adressant à une dizaine d’ateliers littéraires, capables de la comprendre et à très peu près capables