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à qui Bonaparte fera l’honneur de le considérer comme un adversaire assez redoutable pour réclamer lui-même sa disgrâce, est à cette époque un homme de quarante-cinq ans, étant né à Lisbonne en 1757. Diplomate de carrière, il a été (avant de recevoir en 1799 les portefeuilles des Affaires étrangères et de la Guerre) successivement ministre à la Haye, à Rome et à Londres, c’est pendant son séjour dans ce dernier poste qu’il est devenu la créature de lord Granville, cause plus tard de sa perte ; c’est lui qui a engagé l’émigré Vioménil comme général en chef des armées portugaises, charge dont celui-ci n’exerce d’ailleurs pas les fonctions ; c’est lui qui a négocié avec l’Angleterre, en 1798, l’accord à la suite duquel elle fait occuper Lisbonne par les troupes dont nous avons parlé. Ce n’est pas d’ailleurs qu’il possède réellement la confiance du Prince ; son existence ministérielle ne tient qu’à l’amitié du ministre de la Marine, M. de Souza, « fougueux, passionné, assez intelligent, un vrai fou, » dit le duc de Coigny, « patriote, » dit la duchesse d’Abrantès, pour lequel le Régent a du goût et de l’attachement, et qui professe lui aussi, envers l’Angleterre, « une passion proche du fanatisme. » Le Cabinet se trouve partagé en deux camps : dans l’autre, le ministre de l’Intérieur, le vicomte Pinto de Balsemaö, Agé et prudent, et M. d’Anadia, ministre des Finances, très patriote et vivant en ermite, apparaissent comme des esprits sages, mesurés, convaincus de la nécessité d’obéir à la force des circonstances. Les deux premiers ont pour eux tout le parti anglais et la « majorité de celui des grands Fidalgos dont un grand nombre aimerait mieux voir le Prince se retirer au Brésil que de voir son autorité entre les mains d’un homme qui ne serait pas de leur classe ; » les autres, « tous les gens sensés et la masse du pays. »

Diplomate de métier, aristocrate et inféodé à l’Angleterre, tel est donc le ministre des Affaires étrangères qui, le 6 germinal (27 mars), voit entrer dans son cabinet le premier représentant de la France en Portugal depuis la chute de la royauté, ce soldat de fortune sorti du peuple, héros par la bravoure et les talens militaires, mais novice dans la politique : l’un froid, mesuré, retors, négociateur âpre et sans bonne foi, — l’autre, fougueux, impulsif et loyal ; l’un, porte-parole d’un petit peuple vaincu qui n’a d’autre défense que l’amitié britannique, — l’autre, interprète d’une nation puissante, tout enivrée de ses triomphes