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Un autre voyageur, Carrère, parle, « de la terreur générale » qu’inspire le nom de Pina Monique : « on ose à peine le prononcer, » et il ajoute : « Son abord n’est rien moins que rassurant ; un sérieux glacé, un regard sinistre, une figure brune, sombre, rude, farouche, repoussante, impriment une nouvelle terreur. » Dès le début de la Révolution, Manique avait poursuivi de sa haine tous les Portugais suspects d’attachement pour la France et les idées nouvelles, ou même simplement de franc-maçonnerie ; il avait fait expulser nombre de Français, persécuté beaucoup d’autres, et on conçoit quels sentimens pouvait nourrir, à son égard, la factorerie française. Maintenant que la France victorieuse et redoutée avait à Lisbonne un représentant, et pour représentant un général, nos compatriotes ne se faisaient pas faute de réclamer. Avec quelle conscience et quelle activité Lannes ne s’occupe-t-il pas de toutes les questions commerciales, cependant bien nouvelles pour lui. Quelques jours à peine après son arrivée, il propose à Talleyrand d’établir entre un de nos ports et Lisbonne un service de paquebots français, analogue au service de paquebots anglais qui reliait la Grande-Bretagne à la capitale du Portugal. Il travaille avec succès à faire lever les obstacles qui arrêtent l’introduction en Portugal des denrées et marchandises du sol ou des manufactures de la République, et notamment de nos cuirs.

Devant ses nombreuses réclamations, le gouvernement portugais se dérobe souvent, et Lannes de s’en irriter et de s’en décourager d’autant plus qu’aux difficultés d’ordre politique sont venus se joindre des froissemens personnels de tous genres, mauvais procédés d’un tel ordre qu’ils ne paraîtraient vraisemblables aujourd’hui que dans un pays non civilisé, mais que suffit à expliquer, même en faisant la part d’une certaine exagération, l’hostilité déclarée de l’Intendant général de police envers la France et son représentant. Dès le lendemain de l’arrivée du ministre de France, Pina Manique fait arrêter son linge à sa porte, et lorsque Fitte va le trouver pour arranger l’affaire, Manique refuse de « traiter avec le secrétaire de la légation, ni avec aucune des personnes qui s’y trouvent attachées ; » puis, se levant et ouvrant la porte devant un public nombreux, il lui demande impérativement de sortir. Un autre jour, on arrête la blanchisseuse qui porte le linge chez Lannes. Plus tard, quand Lannes s’est installé dans une grande et belle maison