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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/366

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car c’était récemment qu’une loi avait permis aux femmes de monter sur les planches[1].

Quant à la Cour, elle est aussi peu animée que le mélancolique Don Joaö. Elle vit très retirée, excepté les jours de réception et de gala. L’aristocratie, du moins ce qui reste des grandes familles si durement traitées par Pombal, se montre peu, et ne passe à Lisbonne qu’un temps très court ; le reste de l’année, elle vit dans ses quintas, vastes jardins entourés de murs qui avoisinent la capitale ; la classe des fidalgos ou nobles non titrés, est présentée comme ignorante, rétrograde, et toute dévouée à l’Angleterre.

Société hostile, collègues réservés ou sourdement ennemis, quel isolement pour un homme comme Lannes, ouvert, cordial, hospitalier. En fait de ressource, il ne lui restait guère que la colonie française, et elle profitait naturellement de son arrivée pour faire pleuvoir les réclamations relatives aux vexations dont elle avait été victime depuis le début de la guerre. Lannes s’efforce, souvent en vain, d’obtenir des réparations : un horloger n’avait-il pas été enlevé de son domicile à minuit et déporté ; sa fille, âgée de quinze ans, retenue cinq années dans un cachot infect dont elle n’est sortie que quelques jours avant l’arrivée du ministre de France, etc. ? Sur ce point, Lannes ne semble pas avoir rien exagéré, car ses plaintes concordent avec le témoignage d’un homme placé dans le camp opposé et qui se trouvait en même temps que lui à Lisbonne, comme agent officieux de Louis XVIII, le duc de Coigny. « L’esprit du Portugal est effréné contre les étrangers, » déclare-t-il, et il rappelle les mauvais procédés dont les émigrés sont eux-mêmes victimes : M. de Roquefeuille hué par la populace, M. de Zebert assassiné.

Outre ces dispositions malveillantes de la population, les Français de Lisbonne avaient particulièrement à souffrir de l’inimitié du fonctionnaire même qui aurait dû les protéger. Ce personnage qui allait devenir pour Lannes une des principales causes de ses difficultés avec le gouvernement portugais, n’était autre que le lieutenant général de police, don Diego Pina Manique. « Je pourrais dire beaucoup de mal de ce don Diego, ministre peu aimé, » dit le prudent Link lui-même, « de ses arrestations injustes, de la manière horrible dont on traite les prisonniers. »

  1. Link, t. III, p. 205.