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Ainsi donc le Premier Consul était tout disposé à sacrifier Lannes, s’il recevait en échange le renvoi d’Almeida, Et cependant le Régent ne se décida pas à disgracier celui-ci, profitant sans doute, pour résister, de ce que les négociations de paix entre la France et l’Angleterre étaient encore pendantes et de ce que le Premier Consul hésiterait à risquer de les rompre en brutalisant l’allié de la Grande-Bretagne. Don Joaö répondit donc, sinon par un refus formel, du moins en exprimant le désir d’arranger les choses par un autre moyen que le renvoi d’Almeida qu’il déclarait avoir rempli positivement ses ordres.

Avec sa souplesse habituelle. Bonaparte opère une volte-face complète. Le Régent ne consent pas à sacrifier Almeida ? Dès lors, lui, juge convenable de faire partir le plus tôt possible le général Lannes pour Lisbonne. Talleyrand lui mandera sur-le-champ que le Premier Consul s’étant fait mettre au courant des « plaintes rendues relativement à son affaire, juge ses services utiles en Portugal ; » d’autre part, Talleyrand écrira à M. de Souza que le Premier Consul pense « qu’on fera droit à nos demandes pour le commerce, et surtout qu’on fera cesser les chicanes que les douaniers élèvent journellement sur nos bâtimens ; qu’il s’en est expliqué avec lui. »

En réalité, Talleyrand se borne à demander au ministre de Portugal la destitution des chefs de la douane, « qui ont manifesté contre les Français une animosité aussi contraire aux sentimens de Son Altesse Royale ; mais Pina Manique ne se trouve pas personnellement désigné, ce qui permettra à la rigueur de sacrifier quelqu’un d’autre à sa place. Par un de ces jeux d’apparences où il est passé maître, il ménage donc le Portugal tout en prenant des airs de fermeté et sait donner à Lannes l’illusion d’avoir réussi là où celui-ci a échoué en réalité. « Les regrets que le Prince a publiquement marqués sur votre départ, l’inquiétude qui, à cette occasion, s’est manifestée parmi les agens de son gouvernement, doivent être pris pour une réparation des torts dont vous avez eu à vous plaindre. »

D’autre part, comme il faut bien marquer au Régent que le retour de Lannes n’est qu’une riposte au maintien d’Almeida, une lettre de Bonaparte le lui fera savoir, mais avec quelle discrète habileté ! Puisque Son Altesse Royale a témoigné le désir que les différends survenus entre les deux Cabinets puissent se concilier « sans qu’Elle se trouve dans le cas d’ôter sa confiance