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Mais il n’a guère le temps d’en jouir ; il lui faut expier les excès de travail, les privations, les précoces soucis : six semaines après la première du Passant, il tombe gravement malade, d’une rechute de pneumonie dont il souffrait depuis plusieurs années. À peine est-il en état d’être transporté, qu’on l’envoie finir l’hiver à Amélie-les-Bains. C’est de là que le jeune poète de vingt-sept ans écrit — avec une régularité exemplaire — à sa mère alors âgée de soixante-cinq ans.

JEAN MONVAL.


Perpignan, jeudi soir 23 mars 1869, 9 heures.

Chère maman, mon voyage continue à s’effectuer pour le mieux. Bien que la journée de repos que j’ai passée à Bordeaux ait été glaciale, grâce à des précautions infinies, il ne m’est rien arrivé de malheureux. J’ai vu Baudit[1] et les Tramasset, etc.[2]. Alexandrine t’écrira combien elle m’a trouvé bien portant. La longue journée d’aujourd’hui, entièrement passée en chemin de fer, ne m’a pas non plus fatigué ; et dès Agen, j’ai vu une nature merveilleusement précoce, une végétation printanière et du soleil, du vrai et du plus chaud. Demain matin, je pars pour Amélie, Mais MEstadier[3] attend que j’aie fini pour aller jeter la lettre à la poste, et je remets à plus tard mes impressions de voyage.

Je vous envoie mes meilleurs baisers, à toi et à Annette, et je serre les mains de Sindico[4]. FRANÇOIS COPPÉE.


Vendredi saint, 9 heures du soir. Amélie-les-Bains.

Ma bonne maman, maintenant que me voilà installé convenablement, je veux te conter plus en détail le long voyage que je viens de faire, et d’abord te dire qu’aucune des mille impressions qui se sont succédé dans mon esprit n’a été assez forte pour m’empêcher une seule minute de penser à toi, à ma bonne Annette, et à ceux que j’aime dans le coin étroit de mon cœur. Plus d’une fois j’ai songé que vous deviez être réunis autour de la table et parlant de celui dont la place était vide. Mais tous

  1. Artiste peintre, ami de la famille Coppée.
  2. Cousins de François Coppée par sa mère Rose Baudit.
  3. Vieil ami de la famille, à qui Mme Coppée avait confié son fils pendant son premier long voyage.
  4. Peintre italien, auteur d’un portrait de François Coppée en veston rouge, appartenant aujourd’hui à la famille Tramasset.