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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/385

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lui aussi. Chambre immense et glacée, bois vert, Mestadier aux cent coups. Mais aucun mal, puisque c’est tout joyeux du beau soleil que nous nous réveillons ce matin Vendredi saint.

Visite à la cathédrale de Perpignan pleine de cierges, d’ex-voto, de béguines agenouillées, à se croire en pleine époque d’Inquisition, illusion que complète encore le baragouin des habitans qui parlent un mauvais catalan. À onze heures, pris la diligence de l’ancien régime et fait dix lieues au milieu du plus inouï et du plus sublime des spectacles, les Pyrénées. Arrivée à Amélie. C’est un village admirablement situé au fond d’une gorge, au bord d’un torrent. Pas de vent ; un air vif, mais pur, et bien que le soleil se cache aujourd’hui, une atmosphère tiède. Il y pleut, m’a-t-on dit, en moyenne onze jours par an.

Voilà ma simple histoire de ces jours derniers, ma chère maman. Elle n’est pas, comme tu vois, bien accidentée, et je t’en fais un récit mal bâclé, ayant, comme je te l’ai dit, pris en horreur toute littérature. Le résultat sera la prière que je te fais de m’envoyer un de ces jours (il n’y a pas grande presse) un billet de cent francs (sur mon traitement par exemple).

Ah ! que c’est bon de voir des paysans pour mesurer toute la vanité de la gloire littéraire. Et comme ces braves Roussillonnais qui fument leur cigarette espagnole en labourant nonchalamment ou en taillant leurs vignes du bout du ciseau, vous font bien comprendre que l’écriture est une vanité, et la lecture une sottise. Ceci soit dit à titre de paradoxe (vrai, au fond), et sans danger pour les vers que je compte faire dans ces solitudes.

Je verrai demain matin M. le docteur Lemarchand, qui doit me soigner et, bientôt, je vous écrirai ce qu’il pense de mon état ; mais si on ne consultait que moi, je me croirais déjà guéri, tant la distraction du voyage, le changement d’air et la campagne m’ont rendu de courage.

Adieu, maman chérie, je t’embrasse mille fois ainsi qu’Annette.

FRANCIS.


30 mars 1869.

Ma bonne mère chérie, je n’ai toujours à te donner que d’excellentes nouvelles de ma santé. Ma vie se passe ici dans une monotonie très favorable, je pense, à mon prompt et entier