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pourra, en condamnant ses administrés indigènes, violer le principe de la séparation des pouvoirs. Mais ont-ils jamais vécu, ne fût-ce que quelques jours, dans le bled algérien ? Ont-ils jamais été témoins d’une nefra, ou bataille d’indigènes sur un marché ? Ont-ils vu les femmes arabes se presser autour des fontaines, loin des douars, pour la corvée quotidienne de l’eau ? S’ils sont étrangers à tout cela, ils peuvent sourire, à l’énoncé des délits spéciaux du code de l’indigénat, « tumultes sur les marchés ou près des fontaines ; » ils ne savent pas que les indigènes paisibles sont unanimes avec les colons pour demander le maintien de ce code et aussi du droit de punir laissé aux administrateurs ; nos sujets musulmans comprennent cette justice rapide et non procédurière ; ils en apprécient l’entière gratuité. Une loi de 1904 a prorogé les pouvoirs disciplinaires des administrateurs pour une période qui expire le 31 décembre 1911 ; on peut admettre quelques corrections légères, par exemple la suppression de l’internement administratif, qui d’ailleurs tombe en désuétude, une législation plus libérale du permis de circulation imposé aux natifs, mais l’abolition générale des pouvoirs disciplinaires serait une faute capitale contre la sécurité de l’Algérie, un retour offensif, sur le terrain de la justice, de l’esprit des rattachemens.

Persuadons-nous, en effet, que les indigènes ne sont pas tous, tant s’en faut, de malheureux journaliers ou de pauvres pasteurs dépossédés par les conquêtes de la charrue française. L’élément musulman, en Algérie, ne croît pas seulement en nombre, mais aussi en valeur économique, même intellectuelle ; des indigènes sont aujourd’hui propriétaires, tout comme des Français, cultivent par des procédés modernes, figurent à titre d’enchérisseurs dans les ventes de biens fonciers ; ceux-là réclament, aussi vivement que nos colons, qu’on les protège contre le maraudage ; ils ont approuvé, en 1905, l’institution des gardes ruraux indigènes, cavaliers plus mobiles que les gendarmes, le renforcement du contrôle des recherches, l’organisation d’un service anthropométrique, la concentration des services de police en une direction de la sûreté. Rien n’est plus faux que d’imaginer, en Algérie, un prolétariat indigène, auxiliaire jamais résigné, toujours opprimé, de la colonisation ; il faut simplement prendre garde que les musulmans pauvres, cultivateurs routiniers, très peu prévoyans pour la plupart, sont