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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/452

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une responsabilité que beaucoup d’autres partagent avec eux ; et il serait illusoire de limiter à elles seules un mal aujourd’hui à peu près général. Ces pièces ne sont pas isolées dans un ensemble ; elles sont au contraire les spécimens les plus accomplis qui témoignent pour lui. Certes il y a des exceptions à faire ; je les ai faites et je les fais avec tout le monde. Le théâtre dont j’indique ici le caractère essentiel n’est pas tout notre théâtre. Je l’accorde bien volontiers. Mais, ces réserves faites, il est vrai de dire qu’à des degrés différens et avec des nuances que j’ai indiquées à mesure de leur représentation, la plupart des pièces données cette année ont participé à cette même tendance. C’est l’influence qu’on subit, l’atmosphère où on baigne, l’air qu’on respire. Je n’en excepte pas les pièces réputées innocentes et destinées aux familles : ce qu’on écrit pour les familles suffirait à nous faire juger de ce qui n’a pas été écrit pour elles. Elles contiennent des situations, des traits, des mots, qu’à des époques plus scrupuleuses, on n’eût jamais tolérés. Pièces aimables, sans doute, mais de l’amabilité qui se porte dans un milieu de mœurs brutales. De la Porte-Saint-Martin on peut aller à la Comédie-Française, et des scènes de genre aux scènes subventionnées, on retrouve partout les mêmes partis pris, les mêmes manies, les mêmes tics. Quand une mode sévit, on compte ceux qui ont le courage de s’y soustraire. C’est l’étalage de cette mode, maintenant installée, qui a ouvert les yeux aux plus volontairement aveugles et lassé la patience des plus indulgens.

Ce débordement de brutalité, que tout le monde constate et déplore, ne date pas d’hier, cela va sans dire. Les écrivains n’ont pas soudainement changé de manière à la minute précise où l’année changeait de quantième. Au théâtre, comme ailleurs, tout se fait progressivement. Depuis des années, on pouvait voir le flot monter. Pour ma part, je n’ai cessé de signaler, jusque chez des auteurs dignes par ailleurs de toute sorte d’éloges, des concessions fâcheuses à un genre peu en rapport avec leur grand talent. Je puis le dire sans vanité, car je n’ai convaincu personne et je me suis fait peu d’amis. Et il est vrai que certaines pièces, telles que le Foyer ou Samson, Maman Colibri ou le Ruisseau, — je cite les titres un peu au hasard et j’en pourrais ajouter plusieurs autres, — n’étaient pas sensiblement différentes de celles qui ont, en quelque sorte, déclanché, dans le public lettré, une révolte du goût. Mais tant qu’un courant n’est pas entièrement déterminé, on peut s’y méprendre, et, au surplus, on craint toujours de s’alarmer trop tôt. Si je rappelle ces antécédens, c’est uniquement pour établir que cette fois l’opinion ne se trompe pas, qu’elle ne s’est