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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/456

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et la sensibilité y ont ajouté et accumulé à travers les siècles, pour le transformer en un sentiment. Notre théâtre découronne, dépoétise, déshumanise cet amour, pour n’y plus laisser subsister que l’instinct bestial. C’est cet instinct, c’est son exigence, non pas seulement qui fait convoiter à l’amant sa maîtresse, mais qui pousse la jeune fille vers son fiancé et désormais rend la femme incapable de se passer de son mari. Les élans les plus purs, les affections les plus légitimes, les plus sacrées, sont changées en un prurit inavouable.

Il faut voir ce qu’est devenu, à cette école, le rôle de l’amoureux, du jeune premier, du Don Juan, de l’homme à bonnes fortunes, de l’homme aimé de toutes les femmes. Jadis on lui prêtait quelque élégance, de l’impertinence mais de la légèreté, de la suffisance mais de la politesse, du charme dans les manières et dans les propos, même de l’esprit. « Voyez-vous, comtesse, dit Boireau dans je ne sais plus quelle farce, ce qu’il y a d’agréable avec moi c’est que, quand on a fini de rire, on peut causer. « Le héros moderne est dénué de toute conversation, hors la conversation coupable. On devine que les intervalles doivent être sinistres. Sa plastique est tout son agrément. Toute sa séduction réside dans ses moyens physiques. Il le sait et il en crève d’orgueil. Il veut qu’on le sache et qu’on ne se méprenne pas sur son mérite. Je ne saurais dire à quel point ce genre de fatuité est désobligeant. S’il lui arrive de desserrer les dents, on est d’abord confondu de sa sottise. Rien qu’à voir son sourire de bellâtre, on l’avait deviné bête, mais pas à ce point. Et ce n’est pas encore là ce qui nous choque le plus en lui. Mais il faut entendre de quel ton il parle aux femmes, à toutes les femmes, à la sienne comme à celles des autres. Il faut pénétrer dans l’extraordinaire mentalité que révèlent les plus indifférens de ses propos. Cette grossièreté l’achève de peindre et baptise le personnage.

Entrons maintenant dans l’intérieur des familles : voyons comment chacun y tient son emploi. Le père ou le grand-père est, immanquablement, un débauché ; il promène ses fantaisies parmi les femmes du monde, ou les filles de joie, ou les bonnes : c’est affaire de goût. Une seule passion peut contrarier ce libertinage, celle de l’argent, lorsque, s’étant emparée d’un individu, elle étouffe en lui tous les autres appétits. En ce cas, nous avons un escroc au lieu d’un fêtard, et nous hésitons à croire que nous ayons gagné au change. La femme, quelquefois, a fait une assez longue résistance, et au lever du rideau, elle est encore irréprochable. Saluons son honnêteté, car nous ne la reverrons pas ! Il faut croire qu’elle a été sourdement et