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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/455

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nous dans la comédie humaine, telle que nous la présente le théâtre d’aujourd’hui ? D’abord vous y chercheriez vainement ce personnage exempt des turpitudes qui l’entourent et destiné probablement à en être victime, à qui puisse s’adresser notre intérêt, notre estime, notre pitié. Si nous croyons par hasard l’avoir rencontré, ne nous hâtons pas de nous réjouir : la pièce ne s’achèvera pas sans que quelque défaillance imprévue le ravale au niveau de son entourage. Mais nous n’y trouverions pas davantage la foule des êtres de valeur moyenne. Du premier jusqu’au dernier, tous les personnages y sont méprisables et le sont pareillement et absolument. Ce n’est pas assez de dire qu’ils sont sujets aux entraînemens, aux faiblesses, aux concessions, aux complicités. Ils sont capables des pires abominations, et tout de suite, à la première occasion qui s’en présente. Quelques crimes chez eux ne précèdent pas les grands crimes. L’abjection qui est le fond de leur nature est toujours près d’affleurer. Eh bien, non ! Vous vous trompez. Ce n’est pas ainsi chez tout le monde.

Analysons quelques-uns de leurs sentimens, ou peut-être contentons-nous d’en étudier un seul autour duquel gravitent tous les autres. Car, bien entendu, c’est une intrigue d’amour qui défraie toutes ces pièces, comme il en est, et comme il en sera dans notre théâtre neuf fois sur dix et pour toutes sortes de raisons. C’est le crime que lui faisait la chaire chrétienne du XVIIe siècle, estimant que plus les peintures de l’amour sont séduisantes et plus même elles sont épurées, plus elles sont dangereuses. Nous n’en sommes plus là. Nous n’en voulons plus au théâtre de peindre l’amour : nous lui demandons seulement compte de la conception qu’il s’en fait. Même dans les égaremens de l’amour coupable, et en le maudissant pour ce qu’il a de coupable et pour ses égaremens, on peut mettre un peu de noblesse, de poésie, de rêverie, d’émotion sentimentale. On peut y introduire l’inquiétude, le trouble, la lutte, le remords, tout ce qui chez le coupable atteste que la conscience subsiste. Et je consens que les excuses dont nous enveloppons l’adultère soient un mirage, une duperie à laquelle nous nous prêtons volontairement quand nous allons tomber dans le piège que nous tendaient les sens. Mais il y a l’autre amour, non plus l’amour fléau mais l’amour bénédiction, celui qui s’adresse à l’être tout entier, et dans lequel l’attachement réciproque, le souvenir des épreuves supportées en commun, la confiance, la gratitude, la tendresse ont si bien pris toute la place que parler à son propos d’une émotion d’un autre genre produirait une impression de sacrilège. En d’autres termes, il y a dans l’amour l’instinct du sexe, et ce que l’imagination