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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/460

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La génération qui les suit, celle des Henry Bordeaux, des Louis Bertrand, des René Boylesve, d’autres encore et de plus jeunes, n’a eu garde de chercher dans le scandale un moyen de succès rapide et facile. Les peintures de milieux sains, les études de sentimens probes ou délicats ne sont pas systématiquement exclues de leurs livres. Certes il se fait toujours un important commerce de publications spéciales, mais qui reste en dehors de l’art et de la littérature et dont nous n’avons donc pas ici à tenir compte. C’est trop facile d’invoquer les influences impersonnelles et anonymes et de faire de sa propre faute celle de toute une époque. Il n’est pas exact que la littérature, à chaque instant de sa durée, soit imprégnée, dans toutes ses manifestations, d’un même esprit et que cet esprit soit, suivant un mot fameux, l’expression de la société. Là, comme dans tout ce qui est vivant, la loi est celle de la diversité. Les genres ne sont pas de pures abstractions, et en passant de l’un à l’autre on a parfois l’impression qu’on change de pays. Chacun d’eux a son développement dans l’intérieur de ses frontières. Le mal que nous analysons est propre au théâtre.

Quelles en sont les causes ? La première est cette espèce de surenchère que produit, au théâtre plus qu’ailleurs, la poursuite acharnée du succès. Nulle part plus qu’au théâtre, la dure loi du succès ne s’impose avec une impérieuse nécessité, et il faut le dire à la décharge des auteurs dramatiques. Un romancier dont le livre ne se vend pas ne fait de tort qu’à lui-même et ne met pas pour cela son libraire sur la paille : un auteur dont la pièce ne se joue pas peut consommer la ruine du théâtre qui l’a accueilli. Donc, on est aux aguets de ce qui réussit. On profite de la moindre indication et naturellement on l’exagère. Parce qu’Amoureuse a semblé apporter une note nouvelle et bien moderne de sensualité, M. de Porto-Riche s’est cru obligé de nous défrayer d’un « théâtre d’amour » où l’amour ne relève que de la physiologie. Parce que la première pièce de M. Bernstein, le Voleur, avait plu par une certaine intensité dans l’action dramatique, il s’est cru obligé dans la suite à se spécialiser dans les exercices de force, et bien entendu d’y aller de plus fort en plus fort. Parce qu’on avait, dès les débuts, signalé une certaine perversité comme étant la marque originale du théâtre de M. Bataille, il est donc allé chaque fois cherchant un sujet plus scabreux. Les qualités mêmes des interprètes peuvent être utilisées de la façon la plus baroque. Le jour où M. Guitry se trouva un peu marqué pour continuer de jouer les rôles d’amoureux « j’m’enfichiste » qui