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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/461

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firent d’abord sa réputation, il sut à propos se faire une autre manière et s’imposa au public par la puissance de son jeu. Aussitôt on s’est empressé de lui fabriquer des rôles d’Hercule ou de Tartarin avec effets de torse, de biceps et de doubles muscles. Et les autres artistes, sur d’autres scènes, artistes hommes et artistes femmes, se sont mis à rivaliser de violence avec lui. Et nous aussi nous crierons fort et nous serrerons les poings, comme le camarade ! À qui le caleçon ?

Une autre cause est un certain fléchissement du genre. Je ne dis pas une décadence, le mot étant beaucoup trop fort et hors de saison pour une mode qui, j’en suis convaincu, ne sera que passagère. Il se peut même que les auteurs d’aujourd’hui n’aient pas moins de talent que ceux d’hier, mais ils appliquent leur talent à des besognes plus faciles et d’une moindre valeur d’art. II est relativement facile de mener à bien une pièce lancée tout de suite en plein drame : cela dispense d’y mettre de la vraisemblance, de la logique, des préparations : quand un gredin vous saute à la gorge, on songe à tout autre chose qu’à lui demander d’où il vient et s’il a des papiers d’identité. Et on simplifie singulièrement sa tâche quand on ne peint que des êtres dont toute l’activité se réduit aux manifestations de l’instinct : cela dispense de la psychologie et des nuances. D’ailleurs on a beaucoup de chances d’amuser le public quand on lui présente des milieux d’exception, où règnent des mœurs dont il ne peut contrôler la réalité. Le théâtre a besoin d’un effort continu pour se maintenir à un certain niveau et ne pas glisser vers les formes inférieures de l’art. La comédie n’a d’existence et ne prend de valeur littéraire qu’en se différenciant du mélodrame et du vaudeville ; mais aussi elle est sans cesse tentée de leur emprunter des moyens qu’elle y voit réussir. Il semble qu’aujourd’hui elle cède à la tentation et nous présente, en guise de personnages humains, des traîtres de mélodrame et des fantoches de vaudeville, mais en les prenant au sérieux, ce qui leur enlève tout leur charme.

Une part de responsabilité incombe-t-elle ici à la critique trop peu soucieuse de ramener le théâtre, fût-ce avec un peu de rudesse, dans la voie étroite du vrai ? On comprendra que je sois embarrassé pour aborder ce sujet, la posture la plus sotte étant celle du critique qui se donne des airs de faire la leçon à ses confrères. Cela est à mille lieues de ma pensée. Mais tous les critiques aujourd’hui déplorent, à part soi, les conditions de plus en plus défavorables où ils sont contraints d’exercer leur métier. Aux dernières nouvelles, ils ont été mis en demeure d’expédier leur compte rendu en sortant du théâtre après