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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/462

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la répétition générale, pour le faire paraître avant la première représentation. La critique n’est plus alors que l’information : c’est dire qu’elle est invitée à disparaître devant le courrier des théâtres, qui lui est évidemment très supérieur pour l’abondance des renseignemens et pour l’optimisme des appréciations.

Quant à dire que le public est servi suivant ses goûts, qu’il a la littérature qu’il mérite, et que, l’industrie des théâtres n’ayant jamais été plus prospère qu’aujourd’hui, l’argument par la recette est décisif, c’est l’excuse toujours mise en avant et toujours vaine. Il y a dans le public des élémens très différens et de valeur inégale et il est extrêmement dangereux de s’adresser de préférence aux plus vulgaires, sous prétexte qu’ils sont le nombre. C’est encore l’élite qui, ici, prononce en dernier ressort. C’est dans les rangs de ce public lettré que s’est fait jour un sentiment qu’on ne peut plus méconnaître. Il est fatigué d’un étalage de brutalité où il voit un manque de respect à son égard, en même temps qu’une atteinte au goût et à la vérité. Il demande à pouvoir encore aller au théâtre sans avoir à rougir ensuite de l’emploi qu’il a fait de sa soirée. Les auteurs dramatiques, quels qu’ils soient, auraient le plus grand tort de ne pas tenir compte de cet état de l’opinion. Tout le monde peut se tromper ; ce n’est qu’une erreur ; la faute commence quand on s’entête et on s’obstine. Et cette faute aurait des conséquences particulièrement fâcheuses, car le public a un moyen si simple de manifester son mécontentement ! Une grève de spectateurs ? Personne n’y croit, l’habitude de passer la soirée hors de chez soi étant profondément enracinée dans nos mœurs. Entendons-nous. Si le théâtre persévère dans la brutalité, les amateurs de spectacles ne resteront pas pour cela davantage chez eux ; mais, au lieu d’aller vainement chercher, dans les théâtres classés, un plaisir littéraire que ceux-ci lui refusent, ils iront à côté, aux bouis-bouis et au cinématographe.


RENE DOUMIC.