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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/464

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des émotions pieuses que leur avait laissées l’office du jour. Mais, tout en se divertissant de les observer, les habitans de la petite ville ne manquaient pas de les saluer respectueusement, sur leur passage, avec un sourire où la curiosité se tempérait de chaude sympathie. Et l’aubergiste du Lion d’Or, en réponse à l’inévitable question de ses hôtes, n’avait pas assez de mots pour leur vanter les mérites publics ou privés de M. l’inspecteur de district Célestin Just et de madame son épouse, qui étaient les deux petites créatures aux bosses parallèles. Agés à présent de bien près de la cinquantaine, il y avait quelques mois qu’ils s’étaient unis en légitime mariage : lui, alors qu’on le croyait pour toujours voué au célibat, sa femme après avoir perdu depuis longtemps déjà son premier mari, illustre professeur d’anatomie à l’Université de Wittenberg. C’étaient assurément, lui comme elle, deux « fortes têtes, » pouvant en remontrer au personnel tout entier de cette université voisine. Sciences divines et humaines, belles-lettres, sans excepter la politique, rien qui ne fût familier au savant inspecteur ainsi qu’à sa compagne, fille d’un chapelain de la cour de Saxe qui, dès l’enfance de sa Dorothée, avait voulu suppléer chez elle au manque d’agrémens corporels en lui remplissant l’âme d’esprit et de savoir. Mais surtout M. Just et sa femme s’étaient acquis l’affection déférente de tout le pays par la parfaite pureté et bonté de leur cœur : incomparablement charitables, obligeans, familiers, de vrais modèles d’onction et de beauté chrétiennes.

Quant aux deux jeunes gens qui marchaient derrière eux, la demoiselle, — hélas ! de bien petite santé, — était une nièce de M. Just, orpheline recueillie naguère par son oncle et que celui-ci, tout de même que Mme la nouvelle inspectrice, continuait à traiter comme leur propre enfant. Le jeune homme, lui, tel qu’on le voyait là avec sa mine « absente » et son allure dégingandée, appartenait à l’une des plus glorieuses familles de l’Allemagne. C’était le fils aîné du vieux comte de Hardenberg, dont la race avait habité depuis des siècles le pittoresque château féodal de Wiederstedt. Mais peu à peu la misère s’était abattue sur ces Hardenberg, les forçant à abandonner le château de leurs ancêtres pour solliciter d’humbles emplois dans l’administration. Le père du jeune homme, par exemple, était maintenant directeur des salines à Weissenfels ; et son fils travaillait avec lui, après être resté deux ans en apprentissage chez l’inspecteur Just, auprès duquel il revenait d’ailleurs, le plus souvent possible, passer les dimanches. On le disait fort instruit, plus savant encore peut-être que le couple même des Just. En tout cas, un