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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/465

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« drôle de corps, » qui avait toujours un peu l’air d’être dans la lune ; mais sans l’ombre d’orgueil ni de morgue seigneuriale, hardi buveur à l’occasion, et d’une politesse exemplaire avec l’aubergiste et ses cliens habituels, lorsque par miracle il se réveillait assez de son rêve pour s’apercevoir de leur existence.

Cependant le groupe des quatre promeneurs poursuivait lentement Sa route. De temps à autre, les Just échangeaient quelques mots sur le sermon du vénérable pasteur, ou bien se regardaient tendrement dans les yeux, ainsi qu’il sied à de nouveaux mariés. Et les deux jeunes gens, de leur côté, n’avaient point tardé à retrouver un sujet d’entretien qui, les occupant sans arrêt depuis de longs mois, avait fini par créer entre eux un lien d’intimité très profonde et très douce. Georges-Frédéric de Hardenberg, l’ancien élève de M. Just, était follement épris d’une jeune fille demeurant dans un château des environs de Tennstedt ; et la nièce de l’inspecteur, Caroline Just, se trouvait être l’amie de cette jeune fille, de telle façon que celle-ci aussi bien que son amoureux s’étaient accoutumés à la prendre pour confidente de leur petit roman. Non pas que la pauvre Caroline n’eût rêvé elle-même d’avoir également, pour son compte, un roman dont elle pût s’entretenir avec son cher compagnon et ami. Elle avait été tout près déjà, quelques mois auparavant, de se fiancer à un certain Stapf, qui était alors employé dans les bureaux de son oncle ; mais les choses, décidément, n’avaient pas voulu s’arranger. Stapf avait quitté la ville, en disant adieu pour toujours à Caroline Just ; et Hardenberg avait écrit à la pauvre fille une longue lettre où, avec l’intention la plus amicale, il n’avait trouvé à lui offrir que des consolations du genre que voici : « Vous avez maintenant derrière vous un charmant morceau de votre vie. Vos relations avec Stapf, cela forme comme un tout complet. Et dorénavant ce tout va s’arrondir, devenir transparent et homogène, vous procurer l’étoffe d’innombrables réflexions et menues jouissances intérieures. Il est vrai que le départ de votre ami constitue pour vous une perte : mais l’abandon résigné, la concentration de l’être sur soi-même, et le ferme accès à ce qu’il y a en nous d’impérissable et de divin, il faut que vous teniez compte de tout cela ! « Et sans doute l’excellente Caroline en avait « tenu compte : » car le fait est que jamais plus il n’avait été question de sa mésaventure personnelle, dans ses conversations avec Frédéric de Hardenberg. Une autre aventure amoureuse remplissait toutes ces conversations, comme aussi les lettres que s’écrivaient les deux jeunes gens depuis que l’un d’eux avait dû s’éloigner de Tennstedt, — une