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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/467

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fiancée morte. Et, quand enfin il se dégagea de ce rêve funèbre, un profond changement s’était produit en lui. L’amour et la douleur avaient fait de lui un poète.


Oui, c’est incontestablement cette tragédie de ses fiançailles avec Sophie de Kiihn qui a allumé au cœur de Novalis l’ardent et lumineux génie poétique destiné depuis lors à ne plus s’éteindre pendant les trois années qu’avait encore à vivre l’auteur d’Henri d’Ofterdingen et de m’Hymne à la Nuit. De telle sorte que la petite Sophie est devenue désormais, en Allemagne, une figure pour le moins aussi populaire que les Frédérique Brion, les Mme de Stein, et le reste des nombreuses héroïnes de la vie sentimentale de Gœthe ; et l’on comprend sans peine le vif mouvement de curiosité provoqué, ces mois derniers, par l’heureuse fortune qu’a eue M. Heilbron de découvrir notamment une série de longues lettres adressées par Novalis à Caroline Just durant la période même où celle-ci, en sa qualité d’amie des deux fiancés, se trouvait admise à recevoir la confidence des plus intimes secrets de leurs sentimens réciproques. En vérité, il n’y a pas une de ces lettres qui ne mériterait d’être traduite tout entière, avec la richesse inépuisable de leur pensée, l’extraordinaire variété des impressions qui s’y reflètent à chaque ligne, et tout ce qu’elles nous apprennent de la vie et du caractère de l’an des plus hauts poètes de tous les temps. Car je ne saurais trop le répéter : Novalis a été l’un de ces hommes d’exception, — comparable seulement à un Mozart ou à notre Pascal, — dont il semble que l’esprit et le cœur relèvent d’une humanité presque surnaturelle, apte à vivre sans effort dans une atmosphère de pure intelligence ou de pure beauté. À tout ce qu’ils touchent, ces êtres bienheureux ont le privilège de prêter une signification, une vérité, un attrait supérieurs : nous procurant à nous-mêmes l’illusion de nous sentir plongés, à leur suite, dans ce mystérieux « état de poésie » où Novalis, précisément, aspirait à vivre.


Encore n’en faudrait-il pas conclure que ces lettres du jeune Novalis à Caroline Just se maintiennent invariablement dans un ton d’éloquente exaltation lyrique ! Quelques-unes auraient même de quoi nous surprendre, par la familiarité naïve et abandonnée de leur accent, si nous ne nous souvenions qu’il s’agit là de l’innocente idylle de deux enfans : Sophie à peine âgée de quinze ans, et lui, Novalis, avec ses quelques années de plus, trop heureux de pouvoir redescendre au niveau intellectuel et moral de sa chère petite fiancée.