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solidarité des intérêts espagnols et des intérêts allemands était d’une telle évidence qu’une entente ultérieure entre les deux gouvernemens devait nécessairement en sortir. Cette conséquence est-elle certaine ? Cette solidarité d’intérêts est-elle certaine ? Est-elle durable ? Rien n’est plus douteux. L’Espagne peut être, à un moment, un instrument entre les mains de l’Allemagne, mais rien d’autre, et lorsque l’instrument a servi, il arrive assez souvent qu’on le jette de côté ou même qu’on le brise. L’opinion espagnole, en exprimant une satisfaction si bruyante de l’envoi d’un navire allemand à Agadir, a obéi à un mauvais sentiment qui n’avait même pas le mérite d’être vraiment politique. L’Espagne s’entendra toujours avec nous au Maroc, pourvu qu’elle ne sorte pas des arrangemens que nous avons conclus. Nos positions respectives sont nettement déterminées. Si l’Allemagne prenait décidément pied au Maroc, avec la force d’expansion qui lui est propre, l’Espagne ne tarderait peut-être pas en souffrir plus que nous-mêmes. Notre intérêt est plus considérable que le sien, puisqu’il n’est autre que la sécurité de l’Algérie ; mais, pour être moindre, celui de l’Espagne n’en serait pas moins en péril d’être compromis un jour ou l’autre par la présence des Allemands. Nous la ménagerons toujours, non seulement parce que de notre histoire en partie commune les sympathies seules ont survécu, mais parce qu’elle est notre voisine sur une longue frontière en Europe et qu’un pays a toujours intérêt à être bien avec ses voisins. Mais l’Allemagne n’est pas la voisine de l’Espagne en Europe et, si elle le devenait un jour en Afrique. l’Espagne ne tarderait probablement pas à le regretter. Peut-être s’imagine-t-elle aujourd’hui qu’elle serait l’appoint désiré par les deux autres Puissances et quelle pourrait choisir entre elles en faisant ses conditions, mais qui sait si elle ne serait pas finalement l’enjeu de leurs conflits ?

Ce sont là des vues hypothétiques et lointaines sur lesquelles il n’y a pas à insister : le présent seul nous préoccupe et il est encore trop tôt pour savoir comment il évoluera. M. Jules Cambon est reparti pour Berlin avec les instructions de son gouvernement ; il y trouvera M. de Kiderlen, qui y est revenu lui-même, et les entretiens de Kissingen pourront reprendre sur une base plus solide, mais malheureusement avec une complication de plus. Quant à M. de Selves, notre nouveau ministre des Affaires étrangères, sa tâche est délicate et lourde. Heureusement il est un homme d’un esprit fin, délié, souple ; il a fait tout de suite preuve de sang-froid et de fermeté, et si rien ne l’avait particulièrement préparé aux fonctions