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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/538

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qui marquait la fin d’un régime de rapines et d’oppression.

Vu de la plage découverte par la rivière que ne refoulait plus la marée, le spectacle de l’embarquement était de ceux qui ne s’oublient jamais. Les curieux innombrables, couronnant les créneaux des antiques remparts patines en vieux rose, se détachaient sur un ciel d’azur clair où se découpaient les constructions blanches de la ville arabe, les maisons bleuâtres du quartier juif, le mât de la télégraphie sans fil, les minarets grisâtres, le bloc massif des bastions qui plongent dans la mer. En face, à demi masquées par les dunes, les murailles de Salé-la-blanche, aux tours carrées, aux créneaux pointus, laissaient apparaître les terrasses éclatantes et désertes, les toitures vertes des mosquées, les feuillages sombres des grands figuiers. Au large, le Forbin à l’ancre surveillait la ville et la tenait sous la menace de ses canons. Et, vers l’amont, la tour Hassan, tragiquement solitaire, dressait sa silhouette rouge par-dessus les jardins, et semblait protester, de toute sa masse orgueilleuse, contre les destinées nouvelles imposées au vieil empire musulman.


III. — RABAT ET SALÉ

Sur la plaine de sable fin abandonnée par l’oued Bou-Regreg au début de la saison sèche et qui, large de 800 mètres, s’étend du fleuve aux remparts de Salé, un bataillon de coloniaux, un peloton de spahis sont bivouaques et gardent la ville. La colonne Dalbiez les dépasse, abandonnant sa compagnie de marsouins qui est enfin arrivée à destination. Et ceux qui restent ne voient pas s’éloigner sans regret les troupes que le général Moinier attend impatiemment pour renforcer la colonne Brulard et marcher avec tout son monde, en toute hâte, jusqu’à Fez.

Pendant que les derniers arrivés dressent leurs petites tentes, les renseignemens et les nouvelles s’échangent dans un brouhaha bruyant. Les anciens mettent au courant des événemens les nouveaux venus, qui n’en avaient perçu que des échos très affaiblis. C’est ainsi qu’on leur apprend : la création d’une base secondaire de ravitaillement à Meheydia, l’attaque du bivouac de Dar-ben-Arousi le 2 mai, celle d’El Kounitra le 6, de Lalla Ito le 11, où les clameurs des femmes poussant les guerriers à l’assaut dominaient le bruit des canons et de la fusillade ; les surprises des premiers convois lancés avec trop de confiance