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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/547

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démoralisés par la progression lente, mais continue des marsouins, qui, exécutée la droite en avant, les refoule peu à peu sous le feu des mitrailleuses. La crainte d’un corps à corps que leur font prévoir imminent les éclairs des baïonnettes placées au bout des fusils, la conviction d’avoir manqué leur coup, l’apparition de compagnies qui s’approchent et vont bientôt renforcer notre ligne de combat, les décident à une prompte retraite. Brusquement, tout se tait, dans le fourré comme sur la hauteur. Les ennemis ont disparu, en abandonnant, avec leurs armes et leurs chevaux tués, leurs blessés qui gémissent, une centaine de morts dont les yeux vitreux semblent liges dans l’admiration du Paradis musulman.

De notre côté, les pertes étaient grandes, si l’on considère la faiblesse des effectifs réellement engagés. Outre le spahi dont la mort avait démasqué l’embuscade toute proche, la section de mitrailleuses comptait deux blessés. Dans la compagnie de marsouins qui, suivant l’expression du colonel, avait « les honneurs de la journée, » l’appel fait à la fin de l’action révélait 4 tués et 18 blessés dont 14, grièvement touchés, étaient déjà confiés aux soins de l’ambulance. Une des sections avait le tiers de son effectif hors de combat ; le sous-lieutenant, tout frais émoulu de Saint-Cyr, avait brillamment subi le baptême du feu. Dans la troupe, la surexcitation causée par la joie de vivre, qui suit les engagemens violens, se traduisait par des conversations bruyantes où tous parlaient à la fois : l’un montrait son casque traversé par une balle ; l’autre, la crosse de son fusil brisée ; certains, légèrement atteints, faisaient envier leur main sanglante, leur nez éraflé, leur cou mordu par la caresse brutale d’un projectile.

L’aventure d’un blessé semblait donner quelque apparence de raison aux théoriciens de la fatalité. Les journaux de Paris et, après eux, ceux de Londres, ont noté l’histoire d’un soldat qui s’était subrepticement glissé dans les rangs d’une compagnie expédiée au Maroc ; découvert sur le quai de la gare au moment de monter dans le train, il avait été renvoyé à la caserne, malgré ses supplications. Or, cette épisode a une suite qui vaut d’être racontée. Le lendemain, à Marseille, quand sa compagnie s’apprêtait à quitter la vieille caserne de la Charité pour aller s’embarquer sur l’Iméréthie, le capitaine vit arriver l’enragé volontaire qui, tout essoufflé, semblait avoir suivi le