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appelle l’ange de consolation, le chevalier de l’Europe, lui rappelant le pèlerinage nocturne au tombeau de Frédéric. C’est justement que Napoléon, bien renseigné par son ambassadeur à Berlin, comparera la reine Louise à Armide « mettant le feu à son propre palais. »

Non seulement la Reine avait pour elle le prince Louis-Ferdinand qui s’était « fiancé à la gloire militaire, » les patriotes comme Stein, les ennemis déterminés de Napoléon et de la France comme Hardenberg, d’ambitieux généraux qui aspiraient à une campagne quelconque comme Rüchel, et le plus grand nombre des jeunes officiers qui se promettaient de mettre en fuite les Français à coups de cravache. Mais son action se faisait sentir sur des gens plus indifférens à la politique européenne et moins naturellement belliqueux. La reine Louise était jeune, elle était séduisante, elle était souverainement belle. On l’aimait. Elle voulait la guerre, et toute la cour, la noblesse, une partie même de la bourgeoisie de Berlin et une petite fraction du peuple voulurent la guerre comme elle. Il y eut, au printemps et dans l’été de 1806, un mouvement d’opinion contre la France. Mais ce mouvement, à ce qu’il semble, était assez superficiel ; il n’agitait pas les couches profondes de la population ; il avait son origine uniquement dans un complot de cour et dans l’esprit professionnel des jeunes officiers. Mais bien qu’une bande de populaire ait brisé les vitres de l’hôtel du comte de Haugwitz, comme négociateur de l’alliance avec Napoléon, on peut douter que la masse du peuple, dans les villes et dans les campagnes, se soit enthousiasmée pour l’idée de guerre.

De même dans l’armée l’élan n’était pas unanime. Les jeunes officiers, ardens et présomptueux manifestaient par leurs paroles et leurs fanfaronnades la rage de combattre qui les possédait. En façon de bravade, des gendarmes de la Garde vinrent affiler leurs sabres sur les marches de l’hôtel de l’ambassadeur français. Parmi les officiers généraux, qui, pour la plupart, avaient dépassé soixante ans, les uns comme le prince Louis-Ferdinand Hohenlohe, Rüchel, Blücher, Marwitz, Reiche, Tauenzien, désiraient la guerre : d’autres comme Kalkreuth, Kurheim, Scharnhorst en auguraient mal. Sans être aussi bien informés et sans prévoir autant les périls d’une lutte avec Napoléon que certains généraux, les officiers supérieurs et