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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/564

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même la majorité des capitaines n’en étaient pas plus belliqueux. Ils étaient trop vieux, usés par l’âge et par le service, encore susceptibles de combattre résolument et même avec intrépidité, mais à peu près dénués d’ambition et incapables d’élan. La troupe, « alourdie et amollie, » dit Pertz, composée de recrues n’ayant pas fait la guerre et de vieux soldats déshabitués de la guerre, préférait la vie de garnison, si dure qu’elle fût sous le bâton des sous-officiers, aux fatigues et aux dangers d’une campagne. Les deux tiers des hommes étaient mariés et s’inquiétaient à l’idée de quitter femme et enfans. « Le sentiment de l’armée, dit l’auteur de l’Histoire de la campagne de 1806, était tout à fait hostile à la guerre. »

L’armée prussienne, cependant, faisait illusion à son roi, à nombre de ses chefs, à son pays et aux étrangers même qui avaient assisté à ses revues et à ses parades. Comme un monument délabré à l’intérieur, elle imposait par sa belle façade restée intacte. On la croyait invincible avoir sa superbe attitude sous les armes, l’ordre et la précision de ses mouvemens, la pompe et la régularité de ses défilés, le développement méthodique de ses revues-manœuvres, savantes et compliquées, où tout était réglé d’avance et tout exécuté ponctuellement dans la fumée de la poudre et le tumulte apparent de la petite guerre. C’était toujours, pensait l’opinion, l’armée de Frédéric, l’armée de Rosbach. Après une revue à Potsdam, le Tsar disait que « l’on ne pouvait rien voir de plus beau que les troupes prussiennes. » Reiche disait : « On peut tout espérer d’une telle armée. » Avec un accent lyrique tout à fait surprenant chez ce sévère tacticien, Clausewitz écrivait à sa fiancée : « Puissions-nous bientôt quitter l’abri de nos toits et braver la fureur des élémens, et puisse la peur qu’inspirent nos armes nous faire oublier la peur des phénomènes de la nature. » Blücher disait avec moins de pathos mais tout autant de résolution : « L’armée est bonne et l’on peut tout espérer du courage opiniâtre des hommes, de la bravoure et de la prudence des chefs… Je ne crains pas de rencontrer les Français… Je préparerai le tombeau de tous ceux qui se trouvent le long du Rhin, et comme je l’ai fait après Rosbach, j’en apporterai la bonne nouvelle. » D’autres généraux affirmaient du ton le plus sérieux que si Napoléon avait pu venir aisément à bout des Autrichiens, il en verrait de belles quand il aurait devant lui l’armée du grand Frédéric.