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est un mode et comme un fragment du Tout divin. Rien n’est hors du Tout et le Tout à son tour ne saurait être séparé de ses parties. Nous sommes en Dieu, mais Dieu est par nous. Nous ne dépendons pas d’une volonté transcendante qui serait créatrice ou législatrice : nous sommes l’expression d’une nécessité immanente à l’Univers, et rien hors de nous n’est au-dessus de nous-mêmes. Contempler l’invincible liaison de tous les événemens de notre existence avec l’ensemble de tous les autres, voir se réaliser en nous l’admirable et immense jeu de la machine universelle, c’est la plus enivrante des joies, la joie suprême. C’est cela même vivre. Et la vie est belle, elle est bonne ; plus elle est, plus elle vaut. Du moins à nos yeux. Mais quoi ! pourrait-il y en avoir d’autres et y a-t-il un sens de la vie, donc une valeur de la vie en dehors de notre sensibilité ? Nous serions des insensés de nous humilier devant une puissance extérieure qui n’existe pas, insensés de mépriser notre vie, de la restreindre, de l’exténuer, de la mortifier, de nous infliger des douleurs sous prétexte de mieux vivre, insensés enfin de nous repentir. Celui qui se repent est doublement méprisable : d’abord parce qu’il est faible et qu’il se complaît dans le sentiment de sa faiblesse, ensuite parce qu’il souffre et que la souffrance n’est que le sentiment d’une imperfection.

Nos philosophes, nos encyclopédistes, Bayle, Diderot, Voltaire, ne feront que reprendre, chacun avec son tempérament particulier, les critiques de Spinoza. Tous se retrouvent d’accord avec lui sur les principes. Pour les applications pratiques ils sont en général moins austères. De Montesquieu à Volney en passant par Voltaire et par Diderot, tous les écrivains du XVIIIe siècle insistent sur les variations que la morale a subies à travers les temps et les lieux. Il n’y a pas une seule morale, il y a des mœurs indéfiniment changeantes, infiniment variées. Cependant tous sont d’accord pour admettre que l’individu doit obéissance aux lois civiles, qu’il doit sacrifier son intérêt propre à l’intérêt général et qu’au besoin même il a le devoir de se sacrifier au bien public.

Jean-Jacques Rousseau semble professer la même doctrine. Et il ordonne résolument au citoyen d’obéir toujours à la loi, expression de la volonté générale. Mais il reconnaît en même temps le droit de l’individu, droit inaliénable, droit intangible, tellement qu’il préexiste à tout devoir, que c’est du