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professeur de la Sorbonne, le maître de la morale éternelle. « Mais c’est à la condition, dit-il, qu’il nous laisse compléter l’Éthique à Nicomaque par la seule notion qui nous manque : celle de l’absolu divin garantissant de façon claire la valeur et le caractère obligatoire de l’idéal humain. »

Le P. Sertillanges faisait voir en quel sens on pouvait légitimement parler d’une autonomie de la morale, car selon lui, la loi morale étant surtout constituée par une raison, elle ne s’impose pas à l’homme de l’extérieur, mais elle constitue sa loi propre puisqu’il est l’être raisonnable. Et « la raison possède par elle-même en tant que raison, le droit de régir l’homme. » Cependant, le P. Sertillanges ne pense pas que l’on puisse concevoir l’obligation sans la rapporter à l’absolu divin ; il ne saurait admettre que la science morale puisse pleinement se constituer sans qu’on l’ait pénétrée de métaphysique.

Un prédicateur de Notre-Dame, qui fut en même temps un esprit étendu et un penseur, Mgr d’Hulst, avait abouti à de moins rigoureuses conclusions. Il reconnaissait au cours d’une conférence que le fondement de l’obligation morale était une raison avant que d’être un précepte, « car un précepte sans raison serait un caprice, une tyrannie[1]. » Et dans un appendice il ajoutait : « Un être raisonnable, assez éclairé pour reconnaître cet ordre (l’ordre des fins, déterminé à son tour par la hiérarchie des essences), assez aveuglé pour ne pas voir qu’il est le nom abstrait de Dieu lui-même, aurait une raison suffisante de se sentir obligé au devoir et cependant il ne croirait pas en Dieu[2]. » Ce n’est qu’en suivant la raison jusqu’au bout que l’agent raisonnable enfin trouve Dieu, et en Dieu la consistance de l’ordre.


V

En dépit de ces oppositions, on peut dire que les articles de Victor Brochard obtinrent le résultat que visait le philosophe. Ils produisirent une sorte de déclanchement. Jusque-là, la morale éclectique et la morale de Kant étaient restées en possession de l’enseignement. À partir de 1901, on peut remarquer

  1. Carême de 1891, p. 155.
  2. Ibid., p. 403.