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des mœurs que se découvrent les lois, et les lois ne sauraient prétendre à régler les mœurs. On veut ainsi faire de la morale une science du donné, semblable à toutes les autres. Pour découvrir la réalité de son objet, pour le faire reposer sur une « chose, » on est obligé de ne considérer que les faits sociaux : tout ce qui est intention, décision individuelle est exclu des préoccupations des sociologues ; ils font donc disparaître de la morale ce que tant de moralistes, des stoïciens à Kant en passant par les Jésuites, avaient au contraire considéré comme en étant l’essence même. À leurs yeux, le moral n’existe pas, il se réduit et se ramène au social. Ne faisant qu’analyser le donné, la science des mœurs ne peut que constater les lois du passé, elle enchaîne l’homme à se répéter lui-même ; tous les moralistes ont au contraire essayé avant tout de construire l’avenir et, s’ils ont utilisé le passé, ç’a été surtout pour le juger et pour en tirer des enseignemens. Nos sociologues semblent bien avoir parfois de telles velléités ; ils nous parlent timidement d’améliorations scientifiques, d’art moral rationnel, mais ils reconnaissent en même temps la vanité d’un pareil effort. Pour vouloir faire de la morale une science comme les autres, ne font-ils pas s’évanouir l’objet même de la morale ? Et n’est-ce pas, comme s’exprime le titre d’un de ces livres pénétrans, substantiels et clairs, où se joue M. Émile Faguet, reconnaître que la morale renonce à son œuvre séculaire et qu’elle donne au monde sa démission ?


George Fonsegrive.