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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/661

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l’instrument qui fasse jouir ses sujets de la paix et de la tranquillité éventuellement existantes. »

Cette phraséologie embrouillée revient à dire que Dom Joaö veut reprendre par une voie détournée les relations que Lannes a interrompues avec le gouvernement portugais. À cela, Lannes répond carrément par un refus ; il rappelle les progrès de l’influence anglaise, — un corsaire britannique n’est-il pas venu encore l’autre jour dans le port de Faro avec une prise française, une polacre de Marseille ? — les attaques dont sa maison a été l’objet, la tentative de coup d’État militaire exécutée par le duc de Sussex ; il ne reprendra donc les relations que lorsque Son Altesse Royale « aura jugé à propos de se soustraire elle-même au joug que lui imposent les ennemis de la France. »

Le Régent est bien obligé de s’engager davantage ; il envoie au général le comte da Ega, qui a un entretien avec lui, mais dans une maison tierce, pour ne pas éveiller les soupçons (1er fructidor, 19 août). Lannes réclame toujours des actes, et non des paroles : que le comte da Ega vienne publiquement chez lui, porteur des propositions du Régent et on verra à les discuter. Le Prince hésite encore à se compromettre en envoyant Ega à la légation. « Donnez-nous encore quelque délai, mon cher général, écrit le chambellan ; les affaires compliquées se terminent, mais elles demandent du temps. »

Mais Lannes ne veut plus accorder de délais. Le 4 fructidor, il se résout à brusquer les choses, et il écrit directement au Régent que, déterminé à quitter Lisbonne, il prie S. A. R. de donner des ordres pour qu’on lui expédie des passeports. C’est la dernière carte qu’il joue : sera-t-il pris au mot comme la première fois, et, dans ce cas, que décidera le Premier Consul ? Questions bien troublantes qu’il dut se poser en écrivant sa lettre à Dom Joaö ; questions qui ne devaient pas, heureusement pour lui, rester vingt-quatre heures sans réponse. Le lendemain, en effet, 5 fructidor, paraît un décret du Régent nommant Almeida ambassadeur à Vienne ; le même décret attribue le portefeuille de la Guerre au comte d’Anadia, et celui des Affaires étrangères au Aricomte Pinto de Balsemaö. C’est la victoire pour Lannes : la victoire après un long et pénible combat.

Certes, elle est bien due à sa ténacité ; mais si le Régent s’est enfin déterminé à renvoyer le ministre qu’il a réussi à ne pas sacrifier une première fois aux exigences de Bonaparte,