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sont mis en grève en demandant la suppression du marchandage et la journée de neuf heures : au bout de huit jours, ils ont été obligés de reprendre le travail sans avoir rien obtenu. Les grévistes avaient commencé par faire une guerre impitoyable aux renards. Mal leur en a pris : un a montré les dents. Sous le déluge de coups dont on l’assaillait, il a tiré un couteau et blessé à mort un de ses agresseurs, ce qui est légitime sans doute, mais déplorable, et ce qui n’arriverait pas si le gouvernement assurait aux ouvriers travailleurs une protection qui les dispensât de se protéger eux-mêmes.

Nous avons parlé enfin, ou plutôt M. Caillaux a parlé des antimilitaristes, et des actes ont accompagné ses paroles. Il existe une institution nommée « le Sou du soldat, » qui a son siège à la Bourse du Travail de Paris : son but est de maintenir le contact entre les syndicats révolutionnaires et ceux de leurs adhérens qui sont sous les drapeaux. Le moyen employé est le versement entre les mains du soldat de petites sommes d’argent. En quoi, demandera-t-on, ce fait est-il délictueux ? Il ne le serait peut-être pas s’il s’arrêtait là, mais à la somme d’argent s’ajoutent des correspondances, qui introduisent et entretiennent dans les casernes la propagande de l’antimilitarisme, et c’est ce qui ne saurait être toléré. Les anciens gouvernemens ignoraient-ils l’existence du « Sou du soldat ? » Non certainement, mais ils y fermaient les yeux. Ignoraient-ils la propagande qu’il faisait dans l’armée ? Pas davantage, mais ils n’osaient pas s’en prendre à de puissans comités révolutionnaires. Le ministère nouveau a adopté une autre conduite. Une descente de police a eu lieu à la Bourse du Travail et trois révolutionnaires ont été arrêtés. On aurait pu s’attendre à ce que cet acte vigoureux produisît à la Chambre, parmi les socialistes unifiés, une émotion qui se serait traduite par ce qu’on appelle une séance mouvementée. Il n’en a rien été ; l’énergie des socialistes unifiés a été employée tout entière à demander la réintégration des cheminots ; elle s’y est épuisée et c’est seulement au Conseil municipal de Paris que M. le préfet de police a été mis en cause pour avoir violé le seuil de la Bourse du Travail. M. Lépine a répondu à son interpellateur comme il convenait ; il s’est même amusé de la prétention des révolutionnaires d’être à l’abri des lois à la Bourse du Travail, et, si c’est un sacrilège d’avoir forcé la porte de cette forteresse sacrée ; il s’est déclaré tout prêt à récidiver. Il a posé incidemment une question qu’il faudra bien un jour prochain aborder de front : ces syndicats, dont presque tous sont constitués irrégulièrement, et dont la plupart ont un caractère nettement