Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/799

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

positif et scientifique qui s’offre à nous est l’induction. Or, que nous découvre une induction méthodique ? C’est que tous les actes qualifiés mauvais sont des actes antisociaux, tandis que les actes qualifiés bons sont tous des actes utiles à la société. D’autre part, on ne voit pas, assure M. Belot, qu’aucun acte indifférent aux fins sociales ait jamais reçu une qualification morale. Un acte nuisible à l’individu, tel que le suicide, n’est qualifié d’immoral que parce qu’il est une espèce d’homicide, et l’homicide est évidemment antisocial. De même, si certains exercices de l’ascèse chrétienne ont été jugés moralement bons, c’est parce que la sainteté a paru utile aux communautés chrétiennes. De ces considérations M. Belot croit pouvoir conclure que la moralité positive se confond avec l’utilité sociale. Le moral est identique au social, et c’est le social seul qui justifie et qui conditionne le moral.

On voit bien ce que suppose toute cette ingénieuse et savante théorie, c’est d’abord que l’intérêt social collectif puisse être et connu et défini. S’il en est ainsi, chacun de nous a à sa disposition une règle objective, positive, d’après laquelle il peut évaluer ses actions. Il sait de science certaine ce qu’il doit faire. Mais alors la science sociologique, au rebours de ce qu’a écrit tant de fois M. Belot et de la vérité, serait achevée, constituée. Puisque la science sociologique n’est pas achevée, nous ignorons dans la plupart des cas quel est le véritable intérêt social collectif. Et alors, de deux choses l’une : ou nous nous décidons à agir d’après nos inspirations personnelles et subjectives, mais que devient alors la règle d’objectivité que M. Belot prétendait mettre à notre disposition ? ou nous nous décidons à agir d’après une règle objective, conformément aux usages, aux traditions, aux erremens sociaux, et alors quelle différence y a-t-il entre la morale pratique préconisée par M. Belot et celle que nous prêchent les sociologues ? Dans les deux cas, qu’est-ce qui fait la valeur de l’action qui, matériellement, peut aussi bien être malfaisante que bienfaisante, nuisible aussi bien qu’utile à la société, sinon l’intention intérieure de l’agent ? Car, comment s’excusera-t-il s’il a mal fait, et comment acceptera-t-on qu’il s’excuse, sinon en disant : Je croyais bien faire ?… Et voilà, dans l’ignorance des règles objectives, M. Belot réduit, tout comme un kantien ou un chrétien, à tenir compte de ces intentions qu’il accuse et qu’il condamne.