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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/800

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Il n’échappe pas davantage à une autre difficulté. Non plus qu’aucun de ceux qui ont voulu trouver dans une règle sociale un principe pour la morale, il n’a pu éviter de soumettre à cette règle la raison individuelle ; il n’a donc pas conservé à la volonté morale l’autonomie qui, d’après son aveu même, est indispensable pour constituer la moralité. Ici encore de deux choses l’une : ou la raison doit toujours et quel que soit le résultat de son examen se soumettre aux règles sociales, et que devient alors son autonomie ? ou la raison peut, quand elle le juge bon, s’affranchir des règles, et que devient alors le principe de l’intérêt social, le seul qu’admette M. Belot ? Sa prétention n’allait à rien moins qu’à constituer une morale qui serait à la fois et rationaliste et sociale, qui respecterait l’autonomie de la raison et cependant ne pourrait rompre en visière aux règles extérieures. Il paraît bien qu’il a échoué dans sa tentative, et même il était impossible qu’il n’y échouât pas, car ou la morale est autonome et rationnelle, et par cela seul elle risque de devenir anarchique, ou elle est sociologique et aussitôt elle cesse d’être rationnelle. L’homme ne peut pas avoir deux maîtres : s’il obéit à celui qui parle dans son intérieur, il risque de n’obéir pas à celui qui commande à l’extérieur, et s’il se courbe docile devant ce dernier, il risque parfois d’être blâmé et désapprouvé par le premier.

M. Simon Deploige, professeur à l’Université de Louvain, pense lui aussi que les deux maîtres peuvent et doivent s’entendre. C’est de tous les critiques de M. Durkheim celui qui l’a le plus minutieusement étudié et analysé. Il a consacré tout un volume exact et solide, quoique dénué de tout agrément littéraire, à exposer le Conflit de la morale et de la sociologie. Il critique rigoureusement les sociologues, mais ce n’est pas tant parce qu’il juge leurs doctrines erronées, que parce qu’il les trouve incomplètes et fragmentaires. Ils ont raison de chercher dans l’expérience, dans l’observation des mœurs humaines les règles et les lois morales, car ce n’est qu’en observant comment agit l’homme que l’on peut apprendre comment l’homme doit agir ; mais ils ont tort de ne pas soumettre la conduite humaine au contrôle de la conscience, aux critiques de la raison. Ils ont raison encore de chercher un art moral rationnel, mais ils ont tort de penser que la science pratique ne peut pas découvrir les fins de l’humanité, les