Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ressort et les volontés paralysées. La paralysie de la volonté explique et mesure la déchéance de notre natalité. Nous sommes dans le pays des énergies qu’on peut croire mortes.

Mais il arrive parfois que le sommeil ressemble tellement à la mort qu’on les prend l’un pour l’autre, et nous nous obstinons à penser que les énergies de la Gascogne ne sont qu’endormies.

Il est possible, au moins pour les bourgeois, d’indiquer approximativement l’époque où ce changement s’est produit en même temps que les deux circonstances principales qui l’ont favorisé.

Dans les années qui suivirent la guerre, alors que toute l’âme française était oppressée par la défaite, une crise économique éclata en Gascogne, crise grave de main-d’œuvre, dont on ne prévoit pas encore la fin, et telle qu’il faut remonter très loin dans l’histoire pour en trouver une semblable. En peu de temps, la bourgeoisie, dont la fortune était presque exclusivement territoriale, se trouva ruinée. Le choc moral fut si considérable qu’il provoqua ce que depuis on a appelé le syndrome neurasthénique chez tous ceux qu’il surprit en état d’opportunité morbide. Il y eut comme une épidémie de neurasthénie parmi les bourgeois, et chez tous, même ceux que la santé physique préserva de la maladie, ce fut un accablement extrême, un désarmement général des volontés. À quoi bon se préoccuper du morcellement futur d’un domaine qu’on ne peut plus faire cultiver, qui est devenu une source d’ennuis, qu’on sera obligé de vendre à vil prix ? Il faut vivre d’abord, dans un temps où le problème est difficile, éviter les charges et les complications, s’abstenir de donner la vie à des enfans que le malheur attend. On sentit passer, discret et inconscient, un certain découragement de la vie.

En même temps d’ailleurs, par une fissure imperceptible, s’échappait pour se perdre une précieuse réserve d’énergie morale. Vers 1866, Taine, allant de Bordeaux à Toulouse avec le jury de Saint-Cyr dont il faisait partie, écoute les conversations, note le ton, observe les physionomies et les gestes et il conclut en disant : « Ici la femme est supérieure à l’homme. » Il est certain que beaucoup de fortunes de la bourgeoisie en Gascogne ont été conservées et développées grâce à l’activité et à l’intelligence des femmes. L’homme, en devenant bourgeois, cessait de travailler, prenait la canne, le fusil, fréquentait le