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Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/822

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l’intelligence en face de pareils mystères, à la réserve et peut-être à la pudeur. Ceux qui osent s’avancer le plus nous parlent d’un pari à faire, d’un risque à courir, ou encore, selon le mot de Platon, d’espérances dont il convient de s’enchanter soi-même. M. Fouillée pense même que c’est le propre de la morale que de s’abandonner à la foi en la justice et que parier pour elle et y mettre sa vie comme enjeu, est la plus haute façon d’être juste.

Quel que soit l’avenir plus ou moins lointain qui nous puisse être réservé, nous n’en devons pas moins assurer à l’heure qui va venir et que nos décisions ont pour but de préparer, sinon toute la valeur dont elle est susceptible, du moins une valeur suffisante pour que la raison ne puisse la désavouer. Vivans, nous n’avons pas le droit de descendre au-dessous de la vie, de perdre, comme disait Juvénal, tout en continuant d’exister, nos raisons de vivre. Ainsi nous réalisons notre être spirituel, nous l’achevons et le complétons, nous lui assurons avec la durée le rayonnement, avec la santé la noblesse et la beauté. Notre vie doit ressemblera un poème ou à une symphonie dont aucun vers, aucun accord ne se pourrait retrancher sans altérer son vrai caractère. Etre immoral, c’est se dissiper dans les apparences fugitives de l’être, c’est vivre successivement, se perdre et mourir à chaque instant ; être moral, c’est en adhérant à la loi concentrer sa propre vie, la situer par le dessein et par la pensée dans la durée, la soustraire aux vicissitudes et ainsi vaincre la mort : c’est aussi par l’adhésion volontaire aux lois du monde, s’élever au-dessus de ce qu’il y a d’incomplet dans l’individu, et sentir en son propre cœur les battemens de l’universelle vie.

C’est ainsi que nous éprouvons, que nous sentons, comme le disait Spinoza, que nous sommes immortels. Sentimus experimur nos æternos esse. De ce point de vue qui est le vrai, la mort n’est qu’un phénomène comme tous les autres, un passage semblable à celui de tous les instans, la vie, notre vie subsiste et demeure. Nous restons ce que nous sommes, nous possédons, concentrée, toute la valeur acquise. Et les conséquences inévitables s’ensuivront : en nous subsiste, immortelle, creusée de nos propres mains, la fontaine de toute joie, la source de toute douleur.


GEORGE FONSEGRIVE.