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qu’ils s’y rapportent et peuvent devenir matière de philosophie.

Bacon revient du reste sur ce sujet, en poussant l’analyse beaucoup plus à fond, dans le Catalogus historiarum particularium qui forme une sorte d’appendice au grand traité inachevé de l’Instauratio magna (même date, 1620). Il n’y emploie pas moins de quarante-huit articles à dresser la liste, à ordonner la série des arts, depuis la cuisine à laquelle, il garde une place de prédilection, jusqu’aux machines de divers genres, sans parler des arts auxiliaires — artium subservientium — et des procédés ou « expérimens » vulgaires qui ne se sont pas condensés en un art, quæ non coaluerunt in artem. Dans ce grand traité lui-même, dans la Grande Instauration, notamment dans la première partie, De la dignité et de l’accroissement des sciences, au livre cinquième, et dès la préface, dès la « distribution de l’ouvrage, » il s’exprime sur les arts mécaniques en termes qui prouvent que l’on est déjà très loin, ou du moins que, pour sa part, il est déjà très loin de l’antique mépris : « L’histoire que nous projetons, dit-il, n’est pas seulement celle de la nature, libre, dégagée de tout lien, et telle qu’elle est lorsqu’elle coule d’elle-même et exécute son œuvre sans obstacle ; telle qu’est l’histoire des corps célestes, des météores, de la terre et de la mer, des minéraux, des plantes, des animaux ; mais c’est plutôt l’histoire de la nature liée et tourmentée, c’est-à-dire de la nature telle qu’elle se présente, lorsque, par le moyen de l’art et par le ministère de l’homme, elle est chassée de son état, pressée et comme forgée. C’est pourquoi nous faisons entrer dans notre histoire toutes les expériences des arts mécaniques, toutes celles dont se compose la partie active des arts libéraux ; enfin toutes celles d’où résultent une infinité de pratiques qui ne forment pas encore proprement un corps d’art, et cela autant que la recherche nous a été possible et que ces expériences vont à notre but. Il y a plus, s’il faut tout dire ; peu touché de l’orgueil de certaines gens et peu séduit par les belles apparences, nous nous occupons plus spécialement de cette partie, et nous en attendons plus de secours que de celle dont nous parlions d’abord, attendu que la nature se décèle mieux par les tourmens que l’art lui fait subir, que lorsqu’elle est abandonnée à elle-même et laissée dans toute sa liberté[1]. »

  1. Œuvres de Bacon, traduction revue ; corrigée et précédée d’une introduction par M. F. Riaux, professeur de philosophie, Paris, Charpentier, 18 43, t. Ier, Distribution de l’ouvrage, p. 23.