Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/894

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Il y a un grand raport et bien fort estroite convenance entre les corps des Estats bien composés et les corps des animaux. Les animaux se gouvernent par trois facultez plus différentes que diverses, que les médecins appellent âmes. Le premier est la végétative qui leur est commune avec les arbres et les plantes, laquelle gist au foye et au sang qui s’y fait. Ceste-ci nourrit le corps, et est dispersée en ses membres avec le sang par ses veines. Les laboureurs et maneuvres travaillans à la terre tiennent le lieu de ceste âme en la République. La seconde est la sensitive, laquelle réside au cœur, source de la chaleur naturelle, et du cœur s’espand en tout le corps par les artères. En l’Estat, les artisans et gens de mestiers ressemblent proprement à ceste faculté. La troisième est l’animale et a son siège au cerveau, où elle préside aux instincts et actions, et, par les organes des nerfs départis en plusieurs rameaux, donne mouvement à tout le corps. A ceste dernière se peuvent avec beaucoup de raison approprier les marchands qui sont en la société civile.

« Par ces trois sortes d’hommes, laboureurs, artisans, marchans, tout Estat est nourri, soustenu, entretenu. Par eux tout profit vient et se fait, et en sont les diverses digestions, ne plus ne moins qu’au corps naturel, tousjours transmuées en mieux…

« Toute richesse qui procède et vient es Republiques, comme d’une main à l’autre passe par ces trois degrés d’honneur, destinés pour élabourer à perfection le chile du profit, lequel naist au reste, comme de deux sources vives et non jamais taries, de l’esprit et de la main, opérans séparément ou conjointement en des subjets naturels. Soit que l’on regarde à l’un ou à l’autre, vos peuples (c’est toujours au Roi que le discours s’adresse) en ont les plus vifs et abondans sourions. Il n’y a pas pour cela d’argile en leur fonds. Ils n’ont que faire d’aller quérir de ce feu chez leurs voisins… Car c’est bien la vérité, qu’il ne se trouve nation au monde de plus vif esprit que la françoise, mieux née aux armes, aux lettres, à la marchandise, aux artifices… Pour l’abondance de la marchandise et des hommes qui l’exercent, il y a plus de marchands en France et plus de moissons de traffic qu’il n’y a d’hommes en quelqu’ autre royaume que ce soit, qu’il n’y a d’herbes et de fueilles inutiles. »

Que si, maintenant, entre « ces trois sortes d’hommes, laboureurs, artisans, marchands » qui nourrissent, soutiennent,